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SALON DE 1838.

terons seulement où en est l’art aujourd’hui, sans prétendre pour cela juger l’école sur un seul aperçu.

Parmi ceux qui cultivent la grande peinture et dont nous avons les ouvrages sous les yeux, car nous ne nous occuperons pas des absens, MM. Schnetz, Steuben, Delacroix, Gigoux, Ziegler, Brune et Devéria, sortent de ligne et méritent, chacun par des qualités fort diverses, d’être placés aux premiers rangs. MM. Schnetz et Steuben sont de ces talens faits, arrivés à leur maturité, qui n’étonnent plus et qui n’excitent plus le bruyant enthousiasme de la foule, parce qu’ils sont bien connus, mais qui n’en possèdent pas moins un incontestable mérite. La Bataille de Cérisoles, de M. Schnetz, se rapproche par la disposition, des grandes compositions de Gérard. Le Comte d’Enghien recevant, après la victoire, les prisonniers et les drapeaux enlevés à l’ennemi, ressemble beaucoup trop peut-être à Henry IV recevant les clés de Paris. Mais si la disposition est pareille, l’ensemble du tableau n’a ni la même froideur ni la même harmonie ; la couleur en est plus solide, la pensée plus énergique. La partie gauche du tableau, mais principalement le groupe des blessés, sont traités de main de maître. On retrouve là quelques-unes de ces têtes pleines d’une expression forte et contenue, comme le peintre de Sixte-Quint, de Mazarin mourant et du Vœu à la Madone en sait faire. Le dessin, mais surtout le mouvement et la couleur du cheval monté par le comte d’Enghien, dénotent une inexpérience fort pardonnable chez M. Schnetz, peintre de batailles par occasion, inexpérience que nous n’aurons certainement pas à lui reprocher une seconde fois, car M. Schnetz, qui sait si bien traduire les impressions morales et faire penser sa toile, doit avoir hâte de retourner à des scènes d’un pathétique plus simple. Si M. Schnetz rappelle Gérard, la Défaite d’Abdérame par Charles-Martel, de M. Steuben, rappelle les batailles de Gros. On y trouve la même fougue, la même chaleur et le même en-train de combat ; cependant la confusion y est plus apprêtée ; quoique fort savante, la couleur en est plus froide ; et si le jet des masses ne manque ni de mouvement ni de grandeur, chacun des personnages principaux, pris isolément, a quelque chose de raide et de théâtral qui nuit singulièrement à l’intérêt. C’est un tableau dans le genre admiratif, qui rappelle les tragédies de Corneille : tout y est grand, tout y est pompeux, mais la sympathie a peine à naître. M. Steuben est sobre d’accessoires, il tient en cela de l’école de David. En général, ceux qui accompagnent sa composition sont bien choisis. La croix de pierre au pied de laquelle vient mourir le dernier effort de l’armée sarrasine, est habilement placée au centre du champ de bataille ; mais M. Steuben ne lui a-t-il pas donné trop d’importance, et le modèle architectural qu’il a choisi n’est-il pas plutôt du XIIIe que du VIIIe siècle ? La hache en forme de marteau que le chef de l’armée victorieuse brandit sur sa tête, et qui domine l’ensemble de la composition, en fait merveilleusement comprendre le sujet, et c’est à tort que la critique a accusé cet accessoire de puérilité. Cette bataille de M. Steuben est l’une des meilleures du salon ; ses portraits seraient aussi des ouvrages su-