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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/393

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SALON DE 1838.

majesté. Au lieu de cela, M. Brune semble avoir eu pour but de resserrer l’espace ; l’atmosphère terrestre, l’éther limpide, n’existent déjà plus sur sa toile, car les plans les plus éloignés viennent toucher l’œil ; la terre et le ciel sont confondus, aucun objet n’est plus à sa place ; la lune et le soleil, placés à portée de la main des êtres qui s’agitent sur la toile, ressemblent, le soleil à une tache de sang, la lune à un boulet refroidi ; les étoiles ne sont plus que de maigres étincelles qui pâlissent et qui s’éteignent. Transportés sur ce champ étroit et borné, les fantômes de l’Apocalypse perdent ce caractère grandiose et naïf que leur a donné l’apôtre saint Jean. C’est une faute capitale, à notre avis, de les avoir réunis et fait en quelque sorte courir l’un après l’autre, l’homme au cheval blanc d’abord, puis le cheval roux, puis le cheval noir, et enfin le cheval pâle de la mort, comme dans une course au clocher qui s’exécuterait à travers le ciel, et dont le tertre qu’occupe l’apôtre endormi serait le but. Dans l’Apocalypse, chacun de ces êtres surnaturels est lancé solitairement dans l’espace et prend de son isolement même une sorte de bizarre majesté. La meilleure figure du tableau de M. Brune est celle de l’apôtre endormi, mais ce n’est là qu’une esquisse. M. Brune a voulu être apocalyptique jusque dans la bordure de son tableau que M. Fromanger a ornée de figurines d’anges, de prophètes et de guerriers d’un beau mouvement. Mais à quoi bon cette recherche ? C’est faire abus du bas-relief que de le faire servir à la décoration d’une bordure. Qu’arrive-t-il si le bas-relief est traité de main de maître ? c’est que le spectateur se demande quel est l’accessoire, du cadre ou du tableau.

Les sujets religieux sont de mode ; il n’est guère d’artiste, cette année, qui, à l’exemple de MM. Ziegler et Brune, n’ait fait son tableau de sainteté. Faut-il conclure de là que la foi est descendue dans les ateliers de nos peintres ? ou ne serait-ce pas plutôt que l’église est en veine de prospérité ? Cette dernière supposition est la plus fondée. Jetons, en effet, un coup d’œil sur les nombreux ouvrages dont la religion est le prétexte. Si nous en exceptons les compositions de MM. Guichard, Meen, Comairas, Muller et Jourdy, qui cherchent, les uns, les premières écoles italiennes, les autres, l’école allemande ancienne ou contemporaine, Cimabué, Lucas de Leyde, Van-Eyck ou Overbeck ; quelques-uns l’école espagnole et son naturalisme énergique et souvent étroit, mais qui, du moins, sont réservés et sérieux, tous les autres tableaux prétendus chrétiens nous paraîtront inspirés par une religion d’oratoire mondain ou de coquette sacristie. La Fuite en Égypte de M. Devéria, la Méditation de la Vierge de M. Decaisne, le Christ de Mme Dehérain, la Charité de M. Brémond, la Mort de saint Étienne de M. Mottez, la Parabole de la Vierge de M. Leloir, le Christ bénissant les enfans, de M. Lacaze, sont d’estimables ou charmans tableaux, mais conçus la plupart dans une manière tout-à-fait profane.

M. Eugène Devéria s’est montré habile et gracieux coloriste dans son tableau de la Fuite en Égypte. Mais pourquoi avoir compliqué l’intérêt du sujet par une innovation qui lui enlève sa simplicité sainte et traditionnelle ? Il y a