Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
43
ORIGINES DU THÉÂTRE.

libations sanglantes qui faisaient dans l’origine le principal ornement des jeux funèbres. C’est ainsi qu’on fonda un concours tragique près du monument de Thésée[1], et que, plus tard, nous verrons rassembler presque constamment des acteurs et ouvrir des luttes dramatiques, pour solenniser les obsèques des princes et des rois.

FUNÉRAILLES PENDANT LA PÉRIODE RÉPUBLICAINE.

Sous la période républicaine, une plus grande égalité dans la fortune des citoyens mit obstacle à la splendeur de ces dispendieuses funérailles. Toutefois la Grèce républicaine demeura fidèle au culte des tombeaux de l’âge précédent et continua d’observer les fêtes anniversaires fondées en l’honneur des tombes royales[2]. Quelques-unes même de ces fêtes n’étaient que la commémoration devenue populaire d’anciennes funérailles de l’époque fabuleuse. Telles étaient les Adonies ou obsèques d’Adonis, qu’on célébrait chaque année dans presque toutes les villes de la Grèce, et dont les rites étaient particulièrement dramatiques. On plaçait sur un lit, dans chaque quartier, une figure représentant le corps d’un jeune homme mort à la fleur de l’âge ; les femmes de la ville, vêtues de deuil, venaient l’enlever en pleurant, et en chantant un hymne funèbre accompagné du son plaintif des flûtes[3]. On portait ensuite en procession des vases remplis de terre, des arbustes, des fleurs, de la verdure et des fruits, symboles destinés à rappeler la jeunesse du héros et sa fin prématurée. On terminait la cérémonie en jetant ces fruits, ces arbustes, ces fleurs, et quelquefois les figures mêmes d’Adonis dans une fontaine ou dans la mer. À Thèbes, les jeux herculéens se célébraient chaque année en mémoire de la mort violente des huit fils d’Hercule[4].

Quelques-unes de ces obsèques mythologiques conservées dans les siècles suivans offraient des scènes d’une naïveté qui touchait au comique. Voici comment se passaient à Naxos les Ariadnées ou anniversaires funèbres d’Ariane. « Les femmes de l’île, dit Plutarque, accueillirent fort humainement Ariane… Quand cette princesse fut arrivée à terme, elles n’oublièrent rien pour la secourir ; et comme Ariane mourut sans pouvoir se délivrer, elles l’enterrèrent avec pompe. Thésée arriva pendant les obsèques… Il laissa aux habitans une grosse somme pour qu’on fit tous les ans à son amante un sacrifice funéraire, le dixième jour de septembre. Dans cette cérémonie, un jeune garçon, couché dans un lit, imitait, du geste et de la voix, les douleurs d’une femme qui accouche[5]. »

  1. Plutarch., Thes., cap. XXXV, et Cim., cap. VIII. — C’est en cette occasion que Sophocle, encore fort jeune, entra pour la première fois dans la lice et remporta le prix sur Eschyle.
  2. Pindare mentionne, entre autres, les hommages poétiques que recevaient annuellement les tombes des rois de Cyrène. Voy. Pyth., V, v. 127, seqq.
  3. Les Phéniciens appelaient gingras ou gingria une flûte qui rendait un son plaintif et qu’ils employaient dans les funérailles, surtout dans celles d’Adonis. Voy. Poll., lib. iv, § 76, et Athen., lib. iv, pag. 174, F. — C’est des funérailles que l’usage des flûtes passa dans les tragédies.
  4. Pindar., Isthm., IV, v. 104, seqq.
  5. Plutarch., Thes., cap. XX. — Cook raconte qu’il vit jouer à Uliétéa une pièce appelée l’Enfant vient, dont le sujet était une femme en travail. Troisième voyage, tom. III, pag. 402, trad., in-4o.