vous l’êtes. Le reste de mon rêve est sans doute fantastique, et pourtant je veux vous le dire. Vous étiez sur votre galère aux prises avec les pirates, et vous déchargiez votre pistolet à bout portant sur un homme dont il m’a été impossible de voir la figure, mais qui était coiffé d’un turban rouge. En ce moment, la vision a disparu. — Cela est étrange, en effet, dit Ezzelin, en regardant fixement Giovanna, dont l’œil était clair et brillant, la parole animée, et qui semblait sous l’inspiration d’une sorte de puissance divinatoire. Giovanna remarqua son étonnement et lui dit : Vous allez croire que mon esprit est égaré. Il n’en est rien cependant. Je n’attache pas à ce rêve une grande importance, et je n’ai point la puissance des sibylles. Combien ne m’eût-elle pas été précieuse en ces heures d’inquiétude dévorante qui se renouvellent sans cesse pour moi, et qui me tuent lentement ! Hélas ! dans ces périls auxquels Soranzo s’expose chaque jour, c’est en vain que j’ai interrogé de toute la puissance de mes sens et de toute celle de mon ame l’horreur des ténèbres ou les brumes de l’horizon ; ni dans mes veilles désolées, ni dans mes songes funestes, je n’ai trouvé le moindre éclaircissement au mystère de sa destinée. Mais avant d’en finir avec ces visions qui sans doute vous font sourire, laissez-moi vous dire que l’homme au ruban rouge de mon rêve vous a fait, en s’effaçant dans les airs, un signe de menace. Laissez-moi vous dire aussi, et pardonnez-moi cette faiblesse, que j’ai senti, au moment où la vision a disparu, une terreur que je n’avais pas éprouvée tant que le tableau de ce combat avait été devant mes yeux ; ne méprisez pas tout-à-fait les appréhensions d’un esprit plus chagrin que malade ; il me semble qu’un grand péril vous menace de la part des pirates, et je vous supplie de ne pas vous remettre en mer sans avoir engagé mon époux à vous donner une escorte jusqu’à la sortie de nos écueils. Promettez-moi de le faire.
— Hélas ! madame, répondit Ezzelin avec un triste sourire, quel intérêt pouvez-vous prendre à mon sort ? que suis-je pour vous ? Votre affection ne m’a point élu époux ; votre confiance ne veut pas m’accepter pour frère, car vous refusez mes secours, et pourtant j’ai la certitude que vous en avez besoin.
— Ma confiance et mon affection sont à vous comme à un frère ; mais je ne comprends pas ce que vous me dites quand vous me parlez de secours. Je souffre, il est vrai ; je me consume dans une agonie affreuse, mais vous n’y pouvez rien, mon cher Ezzelin ; et puisque nous parlons de confiance et d’affection, Dieu seul peut me rendre celles de Soranzo !