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L’USCOQUE.

tendresse ; que l’honneur imposait aux hommes des lois plus sacrées que l’amour ; qu’il s’était abusé lui-même, lorsque, dans l’enthousiasme de ses premiers transports, il m’avait dit le contraire ; qu’enfin il reviendrait tel qu’il avait été pour moi dans nos plus beaux jours. Quelles furent ma douleur et ma surprise lorsqu’à l’entrée de l’hiver, au lieu de demander à mon oncle l’autorisation de venir passer près de moi cette saison de repos (autorisation qui certes ne lui eût pas été refusée), il m’écrivit qu’il était forcé d’accepter le gouvernement de cette île pour la répression des pirates. Comme il me marquait beaucoup de regret de ne pouvoir venir me rejoindre, je lui écrivis à mon tour que j’allais me rendre à Corfou, afin de me jeter aux pieds de mon oncle et d’obtenir son rappel. Si je ne l’obtenais pas, disais-je, j’irais partager son exil à Curzolari. Cependant je n’osai point exécuter ce projet avant d’avoir reçu la réponse d’Orio, car plus on aime, plus on craint d’offenser l’être qu’on aime. Il me répondit, dans les termes les plus tendres, qu’il me suppliait de ne pas venir le rejoindre, et que, quant à demander pour lui un congé à mon oncle, il serait fort blessé que je le fisse. Il avait des ennemis dans l’armée, disait-il ; le bonheur d’avoir obtenu ma main lui avait suscité des envieux qui tâchaient de le desservir auprès de l’amiral, et qui ne manqueraient pas de dire qu’il m’avait lui-même suggéré cette démarche, afin de recommencer une vie de plaisirs et d’oisiveté. Je me soumis à cette dernière défense ; mais quant à la première, comme il ne me donnait pas d’autres motifs de refus que la tristesse de cette demeure et les privations de tout genre que j’aurais à y souffrir, comme sa lettre me semblait plus passionnée qu’aucune de celles qu’il m’eût écrites, je crus lui donner une preuve de dévouement en venant partager sa solitude ; et sans lui répondre, sans lui annoncer mon arrivée, je partis aussitôt. Ma traversée fut longue et pénible ; le temps était mauvais. Je courus mille dangers. Enfin j’arrivai ici, et je fus consternée en n’y trouvant point Orio. Il était parti pour cette malheureuse expédition de Patras, et la garnison était dans de vives inquiétudes sur son compte. Plusieurs jours se passèrent sans que je reçusse aucune nouvelle de lui ; je commençais à perdre l’espérance de le revoir jamais. M’étant fait montrer l’endroit où il avait appareillé, et où il devait aussi débarquer, j’allais chaque jour, de ce côté, m’asseoir sur un rocher, et j’y restais des heures entières à regarder la mer. Bien des jours se passèrent ainsi, sans amener aucun changement à ma situation. Enfin un matin, en arrivant sur