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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/541

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DOCUMENS SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

qui font le sujet de sa publication, et, dès l’abord, au lieu des renseignemens préliminaires qui étaient indispensables, on ne trouve que le latin ennuyeux et ampoulé de Jean Masselin. À ce compte, les publications sont faciles, et c’est se réduire de bonne grace au rôle estimable, mais obscur, de copiste exact et de correcteur d’épreuves.

Les états de 1484 ont été jugés bien diversement par les historiens. Mézeray trouve que plusieurs s’y laissèrent aller au vent de la cour, Mably que le tiers-état y succomba à l’esprit de servitude, Duclos qu’on y agit surtout par crainte et par faiblesse ; Garnier, au contraire, appelle les cahiers de 1484 des monumens éternels de la sagesse de nos pères. Faut-il, d’autre part, voir les germes de 1789 dans ces lointaines assemblées, comme le veut M. Rœderer[1] ? Ce qu’il y a d’incontestable, c’est que les résultats ont été presque nuls.

Malgré l’inefficacité des conséquences, il y a cependant dans l’assemblée de 1484 des faits importans, des protestations impuissantes peut-être, mais énergiques, contre les abus du pouvoir. Les séances s’ouvrent par un discours platement érudit et démesurément long du chancelier. Les formalités viennent ensuite, l’élection du président et des deux notaires par les deux cent quarante-six députés, puis la question de la régence et les mesquines rivalités de la maison de Bourbon et de la maison d’Orléans. Réclamations des nobles dépouillés par Louis XI, interminables plaintes des Nemours, du comte de Saint-Pol, de l’évêque de Laon, de d’Alençon, du comte de Roucy, de d’Armagnac, du duc de Lorraine, ennuyeux discours de Rély ; voilà, par malheur, ce qui tient la plus grande place dans le Journal de Masselin. Les séances se terminent même par une longue et pitoyable querelle sur le paiement des frais causés par les états. Je ne puis me résigner, je l’avoue, à trouver, avec un spirituel professeur, de l’éloquence dans les discours tenus en cette occurrence par le chanoine Boulle, l’avocat Huyart et le gentilhomme Philippe de Poitiers ; je ne vois là que des hommes avides, qui veulent être indemnisés sans contribuer à l’impôt. Aussi il me semble faux de réduire à de si étroites proportions la lutte que le tiers-état soutenait alors contre le clergé et la noblesse. Quand les états repoussent la singulière prétention de quelques évêques de siéger sans élection ; quand ils manifestent, malgré l’épiscopat, le désir du rétablissement de la pragmatique ; quand Jean Cardier ose, auprès du château de Plessis, maudire la mémoire si récente de Louis XI ; quand on demande la diminution de l’entourage militaire du roi, et surtout lorsque, dans quelques séances, les trois ordres se mêlent et amènent ainsi l’égalité de chaque député, je vois bien plutôt des tendances libérales, de sourdes manifestations de cet esprit démocratique qui triomphera trois siècles plus tard. Le seigneur de La Roche ose dire en propres termes : « Comme

  1. M. Rœderer, dans son ouvrage sur Louis XII et François Ier, rapporte les plans curieux de la salle des états de 1467 et de 1484. M. Bernier aurait bien fait de reproduire ce précieux document dans une collection où on n’a pas cherché à faire économie jusqu’ici de plans, de cartes et de fac-simile fort dispendieux pourtant.