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terminerait toutes les grandes question du nord ; il assurerait notre influence commerciale sur la Belgique et l’éloignerait de la Prusse, qui ne demande qu’à étendre son cercle de douanes, et sait-on jusqu’où peuvent aller les sympathies commerciales d’un peuple aussi exclusivement industriel que l’est le peuple belge ? M. Berryer a vu tout cela, et il a admirablement combattu la loi ; il l’a combattue avec toute la force que prête la conviction, avec toute la puissance que donne à un homme de talent la certitude que sa défaite éloignera peut-être pour jamais l’accomplissement de ses plus chers désirs. La chambre a voté avec M. Berryer, non pas certes qu’elle veuille une troisième restauration, ni le triomphe des idées russes en Europe, ou la suprématie de la Prusse en Belgique, mais parce qu’en de pareils cas la chambre est composée, non pas de députés, mais d’arrondissemens, qui se jalousent les uns les autres.

Nous parlons ici des députés qui appartiennent corps et ame à une localité. Quelques-uns sont d’un arrondissement, rien de plus ; d’autres élèvent leurs vues jusqu’à l’horizon d’un département ; il en est enfin qui embrassent dans leur patriotisme toute l’étendue d’un bassin. Ceux-ci du nord, ceux-là du midi. Dans le vote de la loi des chemins de fer par l’état, ce sont les députés du midi qui ont cru défendre les canaux contre les chemins de fer du nord. Le nord se vengera dans la discussion des canaux. Ce sont les membres de la fable, qui se battent les uns contre les autres. Dans la discussion des rentes, les membres étaient unis. Ils se bornaient à combattre l’estomac.

Si la chambre était appelée à discuter une loi des chemins de fer en faveur des compagnies, les intérêts d’arrondissemens lèveraient la tête à leur tour. La discussion, déjà passablement rétrécie, dans les débats du chemin de fer du nord, deviendrait microscopique. On se battrait à coup de grains de sable, et Dieu sait ce qui adviendrait de la loi ! De tels débats sont inévitables. On a beau avoir fait cent lieues pour se rendre sur son banc à la chambre, on ne peut tout à coup perdre de vue le clocher de sa commune. Ce conflit se reproduira chaque fois que s’engagera un grand débat d’intérêt général où se mêleront les intérêts locaux. Le ministère n’y peut rien. Le cabinet actuel savait parfaitement dans quel labyrinthe de petits obstacles il s’avançait, en s’engageant dans la discussion des chemins de fer. Il n’a pas reculé cependant. Le ministère a eu déjà à supporter, cette semaine, une discussion qui avait écrasé un autre ministère. Il ne dépendait pas de lui de changer la composition de la chambre, et c’est là que se trouve, nous ne dirons pas le mal, mais l’embarras. Qu’il s’agisse d’un vote d’où dépende la sûreté de la France, d’une dépense toute nationale, sans autre bénéfice pour personne que l’honneur et la sécurité qui en reviennent à tous, la chambre votera sans hésiter la mesure. Ou, si elle la rejette, il y aura lieu de reprocher au ministère d’avoir peu d’influence sur elle, et de manquer de la force qu’il faut au pouvoir pour diriger l’état. Mais, encore une fois, en pareil cas, la chambre sera toute française ; elle soutiendra l’unité du pays, la centralisation nécessaire du pouvoir. Qu’il s’agisse, au contraire, de diminuer les rentes de Paris, d’augmenter la source des richesses