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correspondance active, qui a duré jusqu’à la mort de Robert, c’est-à-dire pendant dix ans, et qui se continua jusqu’à 1831, sans qu’ils se fussent jamais vus. M. M…e sut inspirer à Robert une vive et solide amitié ; aussi Robert n’a-t-il pas hésité à lui confier, dans ses lettres, ses chagrins et ses espérances. M. Delécluze a obtenu de M. M…e la permission de feuilleter cette précieuse correspondance, et les lettres qu’il a publiées seront lues par tout le monde avec autant de sympathie que d’attention. Cependant, tout en remerciant M. Delécluze du choix heureux qu’il a su faire, je ne saurais partager son enthousiasme. Sans doute ces lettres offrent à tous les amis de la peinture un puissant intérêt ; mais je dois ajouter que les pensées et le style de ces lettres sont généralement vulgaires. Le privilége de feuilleter cette correspondance pourrait tenter quelques esprits curieux ; mais je ne crois pas que nous devions souhaiter la publication de la correspondance entière, qui, selon M. Delécluze, formerait trois volumes in-8o. Quand je dis que le style de ces lettres est vulgaire, je n’entends pas parler des nombreuses incorrections que les yeux les moins clairvoyans pourront y découvrir ; car l’art d’écrire ne se devine pas plus que l’art de peindre, et je trouve tout simple que Léopold Robert, qui a travaillé depuis l’âge de seize ans jusqu’à l’âge de quarante-un ans, pour devenir grand peintre, soit étranger aux finesses et souvent même aux lois du langage. La vulgarité de style que je lui reproche tient à la vulgarité même des pensées. Ce qu’il dit des maîtres de son art est vrai d’une vérité si évidente, que, pour le dire, il n’est pas nécessaire d’avoir signé les Moissonneurs. Le premier bourgeois venu, pour peu qu’il se fût promené dans les galeries de peinture, en dirait tout autant et le dirait aussi bien. En lisant les lettres de Robert, on demeure convaincu que la pratique de l’art et l’intelligence des idées générales qui dominent toutes les formes de l’invention sont deux choses parfaitement distinctes. L’intelligence de ces idées ne mène pas à la pratique de la peinture ou de la statuaire, de l’architecture ou de la musique ; mais il peut arriver aux artistes éminens, et la correspondance de Léopold Robert est là pour le prouver, d’énoncer sur la peinture, la statuaire, l’architecture ou la musique, des pensées tellement vulgaires, tellement inutiles, tellement inapplicables, tellement démonétisées par l’usage, tellement nulles, qu’elles provoquent le sourire des hommes les plus bienveillans. À quoi se réduit la pensée de Léopold Robert sur Nicolas Poussin, sur Raphaël, sur Michel-Ange, sur M. Ingres ? à l’affirmation de faits qui frappent tous les yeux. Louer la valeur philoso-