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ÉMANCIPATION DES ESCLAVES.

de l’an II. Voilà la liberté que produirait aujourd’hui encore un affranchissement général proclamé dans nos îles. Quelle est, en effet, la première condition réclamée au nom de nos colons ? C’est une loi spéciale sur les vagabonds. M. de Las Cases vient de le déclarer à la tribune de la chambre des députés. Or, nous connaissons le véritable sens des lois sur le vagabondage.

Je reconnais, au reste, qu’un tel régime dépouille l’esclavage de ses caractères les plus odieux. Il donne aux esclaves une personnalité civile, une famille, une propriété. Mais il conserve le travail forcé ; il crée un état mixte qui n’est pas l’esclavage, et qui n’est pas le servage non plus, car, d’un côté, les engagemens sont temporaires, et, de l’autre, le travail est imposé par la loi.

Au reste, l’exemple de la Guiane, dont nous allons nous occuper à présent, est bien plus positif encore que ceux de la Martinique, de la Guadeloupe et de Saint-Domingue. Nous avons l’avantage de pouvoir l’étudier dans tous ses détails, tandis que l’invasion anglaise a interrompu les expériences de la Guadeloupe et de la Martinique, et que l’isolement prolongé d’Haïti ne nous permet pas de suivre avec certitude toutes les parties de son histoire, ou de pénétrer dans tous les élémens de sa législation.

À la Guiane, au contraire, des actes publics, nombreux, qu’un ancien magistrat de Cayenne, M. Armand, a pris soin de recueillir, permettent d’apprécier toutes les conséquences d’une émancipation proclamée, accomplie, révoquée par le même gouvernement, dont les résultats ont eu huit années pour se développer, et n’ont pu être gravement modifiés par l’intervention momentanée d’une puissance étrangère.

Après avoir rendu le décret de l’an II, la convention jugea qu’il était nécessaire d’organiser la liberté dans le département de la Guiane française. Elle y envoya le neveu de Danton, le citoyen Jeannet. Le premier acte de ce commissaire fut une proclamation qui déclarait vagabond tout individu non propriétaire et non engagé. C’est le même système que nous avons vu se produire dans les autres colonies : les engagemens ordonnés sous peine de prison.

Il paraît que cette mesure fut loin d’atteindre son but, et que le travail fut abandonné par les nouveaux libres ; car nous voyons l’assemblée coloniale prendre, le 16 vendémiaire an III, un arrêté dont les considérans et le dispositif sont également remarquables : « Considérant que la récolte du coton va se perdre, faute d’être ramassée ; considérant que le service des hôpitaux de la république a été interrompu ; voulant assurer à tous les citoyens la précieuse indépendance que donne la nature, et que les vertus et le travail conservent seuls ; arrête : article premier : Tous les ouvriers cultivateurs sont de ce moment en état de réquisition. »

Ainsi les affranchis passaient déjà du régime de l’engagement au régime de la réquisition. Ils se montrèrent fort peu touchés des soins que l’on prenait pour leur conserver la précieuse indépendance que donne la nature ; et l’établissement du nouveau système fut l’occasion de graves désordres.

Le 19 pluviôse an III, l’assemblée coloniale recourt à un autre genre de mesure de