à remarquer que ces infâmes perdent toujours le fruit de leurs coupables travaux, pour n’avoir pas su s’arrêter à temps.
Ce que Morosini ignorait encore, c’est que la dot de sa nièce avait été dévorée, en grande partie, dans les trois premiers mois de son mariage avec Soranzo. Soranzo, aux yeux de qui la bienveillance de l’amiral était la clé de tous les honneurs et de tous les pouvoirs de la république, avait tenu, par-dessus tout, à réparer la perte de cette fortune, et le moyen le plus prompt lui ayant paru le meilleur, au lieu de chasser les pirates, nous avons vu qu’il s’était entendu avec eux pour dépouiller les navires du commerce de toutes les nations. Une fois lancé dans cette voie, des profits rapides, certains, énormes, lui avaient causé tant de surprise et d’enivrement, qu’il n’avait pu s’arrêter. Non content de protéger la piraterie par sa neutralité, et de prélever en secret son droit sur les prises, il voulut bientôt mettre à profit ses talens, sa bravoure et l’espèce de fanatisme qu’il avait su inspirer à ces bandits, à la première vue, pour augmenter ses bénéfices infâmes. Tant qu’à risquer son honneur et sa vie, avait-il dit à Mezzani et à Léontio, ses complices (et on doit le dire, ses provocateurs au crime), il faut frapper les grands coups et risquer le tout pour le tout. Son audace lui réussit, il commanda les pirates, les guida, les enrichit, et jaloux de conserver sur eux un ascendant qui pouvait un jour lui devenir utile, il les renvoya avec leur chef Hussein, tous contens de sa probité et de sa libéralité. Avec eux, il se conduisit en grand seigneur vénitien, ayant déjà une assez belle part au butin pour se montrer généreux, et comptant d’ailleurs se dédommager sur les parts du renégat, du commandant et du lieutenant, dont il regardait la vie comme incompatible avec la sienne propre. Une étoile maudite dans le ciel sembla présider à son destin dans toute cette entreprise, et protéger ses effrayans succès. Vous allez voir que cette puissance infernale le porta encore plus loin sur sa roue brûlante.
Quoique Soranzo eût quadruplé la somme qu’il avait désirée, tous les trésors de l’univers n’étaient rien pour lui sans une Venise pour les y verser. Dans ce temps-là, l’amour de la patrie était si âpre, si vivace, qu’il se cramponnait à tous les cœurs, aux plus vils comme aux plus nobles ; et vraiment il n’y avait guère de mérite alors à aimer Venise ! Elle était si belle, si puissante, si joyeuse ! c’était une mère si bonne à tous ses enfans, une amante si passionnée de toutes leurs gloires ! Venise avait de telles caresses pour ses guerriers triomphans, de telles fanfares éclatantes pour leur bravoure,