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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/773

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L’USCOQUE.

que j’ai à porter contre vous. Je n’aurai d’autres témoins que ma tante et ma sœur.

Orio fit un pas vers Argiria.

— À demain ! lui dit-elle d'une voix tremblante.

Orio se mordit les lèvres, et sortit à pas lents, en répétant avec une tranquillité superbe : — À demain !

— Jésus ! Dieu d’amour ! s’écria la signora Memmo sur le seuil de sa chambre, j’ai entendu une voix que je croyais ne devoir plus jamais entendre ! Mon Dieu, mon Dieu ! qu’est-ce que je vois ?… mon neveu ! mon enfant ! Demandez-vous des prières ?… Votre ame est-elle irritée contre nous ?…

La bonne dame chancela, se retint contre le mur ; et, près de tomber évanouie, fut retenue par le bras d’Ezzelin.

— Non, je ne suis point l’ombre de votre enfant, ma tante, ma sœur bien-aimée, reconnaissez-moi, je suis votre Ezzelin. Mais, ô mon Dieu ! répondez-moi avant tout, car je ne sais si je dois bénir ou maudire l’heure qui nous rassemble. Cet homme que je chasse d’ici est-il l’époux d’Argiria ?

— Non, non ! s’écria Argiria d’une voix forte. Il ne l’eût jamais été ! Un voile funeste était sur mes yeux, mais…

— Il est votre fiancé, du moins ! dit Ezzelin en frémissant de la tête aux pieds.

— Non, non, rien ! Je n’ai rien accordé, rien promis !…

— Le lâche, l’infâme a osé me dire que vous vous aimiez !…

— Il m’avait fait croire qu’il était innocent, et je… je le croyais sincère ; mais te voilà, mon frère, je n’aimerai que par ton ordre, je n’aimerai que toi !…

Argiria cachait ses sanglots de douleur et de joie dans le sein de son frère. Nous laisserons cette famille, à la fois heureuse et consternée, se livrer à ses épanchemens et se raconter tout ce qui était arrivé de part et d’autre depuis une séparation si cruelle.


George Sand.


(La fin au prochain numéro.)