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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

qu’on nous présente comme anglaise avant tout. Sans doute, ce n’est pas la faute des Circassiens si leur intérêt se trouve lié à celui des boutiquiers de Londres, et cela ne doit pas nous empêcher de sympathiser avec eux, s’il nous est démontré qu’ils ont droit à notre sympathie : toutefois il en résulte qu’un public français doit prêter une oreille moins confiante aux argumens de leur avocat et soumettre ses allégations à une critique plus sévère.

C’est au mois d’avril 1836 que M. Spencer s’embarqua à Vienne, sur le bateau à vapeur de Pest. Dans cette dernière ville, il monta sur celui qui devait, pour la première fois, descendre jusqu’à Galatz, la hauteur des eaux du Danube permettant de tenter le difficile passage de la porte de fer. De Galatz, un troisième bateau à vapeur le conduisit à Constantinople. Le voyage de Vienne à Constantinople se fait maintenant à peu près en douze jours, en jetant l’ancre toutes les nuits. Il se ferait aisément en huit, sans les arrangemens mal pris, les lenteurs administratives, les retards résultant du fréquent visa des passeports par les autorités autrichiennes. Même avec ces lenteurs, la rapidité avec laquelle les paquebots à vapeur font faire un trajet autrefois si long et si difficile, est pour les riverains du Danube l’équivalent de la vitesse d’un ballon, « tant le temps a peu de valeur, dit M. Spencer, là où l’absence d’occupations commerciales et industrielles donne à la masse de la population plus de loisir que de richesse. » Le voyageur anglais décrit successivement la Hongrie, la Valachie, les côtes de la mer Noire, et donne des détails intéressans sur les institutions et les mœurs hongroises ; toutefois nous ne nous arrêterons pas à cette partie de son voyage, non plus qu’à la promenade aux champs où fut Troie, ni à ses descriptions de Constantinople, omnia jam vulgata. Nous nous occuperons de préférence de ses observations sur la décadence présente de l’empire turc et sur les efforts de son souverain pour le régénérer, parce que c’est un sujet d’un grand intérêt, et que les vues de M. Spencer, sur ce point, sont souvent pleines de sens.

Quoique la Turquie, dit-il, dans sa dernière lutte avec la Russie, ait eu à vider jusqu’à la lie la coupe d’amertume, et quoique nous devions de la sympathie aux revers de notre ancienne et fidèle alliée, toutefois, sous un rapport, nous pouvons à peine les regretter, parce qu’ils ont eu le bon effet de dissiper au moins en partie l’ignorante illusion de ses enfans. Ces malheurs peuvent, en définitive (au moins le philanthrope aime à en concevoir l’espérance), en les mettant en contact plus immédiat avec la tactique et la civilisation des peuples étran-