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cœur désolé. Mais si je meurs la première, oh ! prie Dieu pour ma pauvre ame ; prie pour que nous nous retrouvions tous deux au ciel !

« Sous cette robe blanche dont on m’a revêtue, il y a un cœur noir de tristesse, plein de regrets, et qui restera ainsi jusqu’à ce qu’il repose dans le tombeau. Mais chaque fois que je pense à toi, ma chère joie, j’éprouve une douce consolation. Il me semble qu’au milieu de ma prison je me trouve dans tes bras. Te rappelles-tu le jour où nous étions dans la forêt et où tu chantais près de moi ? J’y ai souvent songé avec des larmes et des soupirs. Te rappelles-tu ce que tu chantais :

« L’oiseau gazouille joyeusement dans le bois et reste muet dans la cage. »

C’était là ce qui devait m’arriver. J’ai été l’oiseau joyeux de la forêt. À présent je suis le pauvre oiseau enfermé dans la cage. Quoique tout cela se soit passé dernièrement, il me semble qu’il y a long-temps, et je voudrais de grand cœur souffrir la mort la plus cruelle pour pouvoir goûter encore une fois le bonheur que j’éprouvais alors près de toi.

« Tu as toujours mis tant d’empressement à faire ce que je désirais ! Viens, mon bien-aimé, passer une heure au couvent. Je te rencontrerai dans le parloir extérieur. N’oublie pas de m’écrire quelques mots par Pierre Nilsson. Songe au jour où j’étais assise sur tes genoux tandis que tu chantais. Tu me disais alors que ton cœur pourrait se briser et se partager en autant de morceaux qu’il y a de feuilles sur les arbres, avant que ton amour pour moi se refroidît. Hélas ! chaque fois que je vais dans le jardin et que je regarde les arbres, je pense à tes chères paroles. Je ne peux plus écrire. Ma plume tremble dans ma main. Mon cœur tremble dans ma poitrine. Dieu veuille que tu m’aimes autant que je t’aime ; car mon amour pour toi ne finira qu’avec ma vie[1]. »

On trouve encore quelques pages de prose d’un ton assez pur dans les légendes de saints. Quant à la poésie, elle resta en arrière. Mais il y avait alors la poésie traditionnelle, la poésie populaire, qui se perpétuait d’une génération à l’autre par le récit ou par le chant, qui, dans la cabane du paysan, dans les paisibles veillées du bourgeois des petites villes, ranimait encore le cœur du vieillard et faisait battre celui de la jeune fille. Cette poésie ressemble beaucoup à celle d’Écosse, d’Allemagne, de Hollande et de Danemark. Le recueil suédois publié par M. Geiier renferme plusieurs pièces que l’on dirait calquées sur celles du Borders Minstrelsy de Walter Scott, des Reliquies de Percy, du Wunderhorn de Brentano, et du Kœmpeviser de Syr.

Les sources où l’on a puisé pour composer le recueil du Kœmpeviser sont cependant plus riches et plus abondantes, sans doute parce que les Danois

  1. Le couvent de Wadstena fut très renommé en Suède. Il existait déjà au XIIe siècle ; mais il était loin d’être alors aussi important qu’il le devint plus tard. Au XIVe siècle, sainte Brigitte y fonda une communauté d’hommes et de femmes. En 1388, une partie de l’édifice fut consumée. La reine Marguerite le fit reconstruire. La lettre que nous avons rapportée est extraite d’un recueil de différentes pièces écrites dans ce couvent. Tous les bibliographes s’accordent à en reconnaître l’authenticité.