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« Allez voir avec quelle petite dose de sagesse le monde est gouverné ! » Eh ! mon Dieu, la chambre n’a pas besoin de se déranger pour faire l’expérience de ces paroles ; qu’elle reste sur ses bancs et qu’elle écoute, comme elle l’a fait, les discours des amis de M. Guizot, leurs vœux contradictoires, leurs jugemens si hardis et si précis sur cette grande affaire d’Afrique qu’ils ont si légèrement étudiée, et elle se convaincra que la plus grande dose de sagesse n’est pas dans les mains de ceux qui ne gouvernent pas aujourd’hui. M. Jaubert l’a bien fait voir en attaquant aussi personnellement M. Guizot, en lui attribuant aussi clairement la pensée de se ménager, au moyen de son opinion sur l’Afrique, une entrée aux affaires avec le centre gauche. Nous n’oserions pas tenir ce langage à M. Guizot. Il est vrai que l’amitié a ses priviléges. M. Jaubert en use largement.

M. Molé a parfaitement répondu à tous ces orateurs de l’abandon. Il a replacé la question en véritable homme d’état et en homme d’affaires. Il a relégué, dans les définitions historiques, les systèmes qu’on avait appelés arabe, turc, français ; avec la netteté d’esprit qui lui est particulière, il a fait comprendre à la chambre qu’il n’y a que trois lignes à suivre : l’évacuation, la domination générale ou la domination restreinte. — « C’est ce troisième système qui est le nôtre, qui l’a toujours été, » a dit M. Molé. Sait-on rien de plus explicite ?

À M. Jaubert, M. Molé a répondu que la Tafna et Constantine ne sont pas une contradiction ; que, si la France avait pu faire une paix honorable avec Achmet-Bey comme avec Abd-el-Kader, elle l’eût faite ; mais que l’honneur et la sûreté voulaient cette expédition. Ailleurs, au contraire, une bonne politique voulait la paix, et le général Bugeaud l’a prouvé. À M. Duvergier, à M. Desjobert, M. Molé a déclaré que nos progrès en Afrique sont réels, et que huit ans de possession ont déjà produit leur fruit ; à M. Piscatory, que la destruction de la piraterie, ce grand et noble fait, n’est pas suffisant pour la France, et qu’elle gardera tous les avantages réels que cet acte philantropique doit lui donner ; enfin, à tous les partisans de l’abandon total, qui veulent que nous empêchions les autres puissances de s’établir sur les côtes que nous quitterions, il a répondu qu’il aime mieux occuper Bone et Oran, que de livrer, dans la Méditerranée, des combats inutiles. Ce discours, prononcé en si bons termes, et avec une simple dignité, a produit une vive impression sur la chambre, et l’on a reconnu l’esprit d’affaires qui obtient en Afrique, par sa persévérance, les bons effets signalés par le général Bugeaud.

Dans la même séance, M. Molé est monté à la tribune pour repousser des attaques d’un autre genre. Il s’agissait de répondre à M. Berryer, grande tâche si l’on songe au talent de l’honorable député, mais qui devient plus facile si l’on considère sa position. Placé comme il l’est, entre les partis et dans le parti où il s’égare, M. Berryer n’est qu’une puissance négative dans la chambre, et il ne peut apporter à la tribune que des négations. Il est vrai qu’il les varie avec un rare talent, mais l’arrière-pensée qui apparaît sous toutes ces formes amortit l’effet de son éloquence et paralyse toutes ses assertions. C’est là ce