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LA TERREUR EN BRETAGNE.

croix à l’équipement des volontaires. On lut ensuite une réclamation du sieur Sévestre, demandant que toutes les charges qui seraient imposées aux citoyens fussent doublées pour lui. Un acteur du théâtre de Rennes, nommé Bosquet, monta alors à la tribune et se plaignit de la cherté des grains qu’il attribua à l’égoïsme des accapareurs. Il proposa de faire le recensement de tout le blé qui existait dans le département et d’en fixer le prix proportionnellement au salaire des ouvriers et aux travaux des cultivateurs. Cette proposition fut accueillie avec enthousiasme ; on décida qu’elle serait communiquée à Carrier, afin qu’il en confiât l’exécution aux corps constitués.

La séance semblait terminée, et le président s’était déjà levé, lorsqu’un grand bruit se fit entendre au dehors ; la porte s’ouvrit avec violence ; un paysan presque nu, souillé de boue et la tête enveloppée de linges sanglans, parut sur le seuil, conduit par Caïus et quelques autres sans-culottes.

— Les brigands ! les brigands ! s’écriaient-ils tous à la fois…

— Qu’ont-ils fait ? demanda le président,

— Ils ont pris La Roche-Bernard.

— Qui vous l’a dit ?

— Cet homme… il en arrive… regardez… il est blessé… il s’est sauvé par miracle.

— Parle, citoyen…

Le paysan avait été, pour ainsi dire, porté jusqu’à la table du président. La foule s’en rapprocha par un mouvement général ; il y eut un moment d’oscillation, de tumulte, puis le silence se fit…

Cependant le fugitif jetait autour de lui un regard effaré ; il étendit la main pour chercher un appui, rencontra la table et s’y assit ; l’angoisse se lisait sur tous les visages.

— Étais-tu toi-même à la Roche-Bernard quand les brigands sont venus ? demanda le président.

— Oui… oui, citoyen, dit le blessé d’une voix entrecoupée… j’étais au service du citoyen Sauveur, le président du district…

— Et quand sont-ils arrivés ?…

— Dans la nuit : nous étions tous couchés ; j’allais m’endormir ; voilà que j’entends tout d’un coup beaucoup de gens qui parlent et qui marchent ; on frappe à la porte à coups de crosse et on crie d’ouvrir. Je cours à la fenêtre, la rue était pleine de chouans avec leurs mouchoirs aux chapeaux. Dans ce moment le citoyen Joseph sortit de la chambre : — Oh ! mon Dieu, que je lui dis, qu’est-ce que c’est donc que ça ? — Ce sont les chouans qui viennent me tuer, qui me