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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/18

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REVUE DES DEUX MONDES.

presque à la renverse sur la table où il s’était d’abord assis ; Mme Benoist courut à lui.

— Aidez-moi à le conduire à la maison, me dit-elle, et pendant qu’ils vengent l’autre, sauvons celui-ci.

ii.

Les affaires qui m’avaient appelé à Rennes m’y retinrent beaucoup plus long-temps que je ne l’avais d’abord pensé ; tout se trouvait dans un tel état de trouble et de désordre, que des obstacles imprévus s’élevaient de tous côtés.

Le général Labourdonnaye avait repris la Roche-Bernard, mais l’armée royaliste menaçait de venir assiéger Rennes ; la disette commençait à s’y faire sentir, et Carrier, de retour de Saint-Malo, où il était allé, selon son expression, donner le fil au rasoir national, essayait à Rennes ce qu’il devait exécuter plus tard à Nantes avec une splendeur de cruauté qui a rendu son nom célèbre à jamais. Heureusement que le hasard avait placé sur sa route un de ces êtres simples et sublimes à qui le dévouement tient lieu de puissance, et qui arrêtent tous les fléaux en leur faisant une digue de leurs corps.

Cet homme était un pauvre tailleur nommé Leperdit. Né à Pontivy, dans le Morbihan, il n’y avait reçu que l’éducation grossière des enfans de sa condition. Le curé, frappé de ses dispositions, proposa de lui obtenir une bourse dans le séminaire du diocèse ; Leperdit refusa ; on lui demanda la cause de ce refus :

— Les séminaristes oublient leurs parens, répondit l’enfant ; on les habitue à ne plus obéir et à ne plus songer qu’à leur évêque ; je ne veux pas devenir prêtre, de peur de moins aimer ma bonne mère.

Il apprit donc l’état de son père, s’établit à Rennes vers l’âge de dix-huit ans, et s’y maria peu après. Pendant plusieurs années, sa vie fut celle d’un ouvrier laborieux et obscur, gagnant chaque jour le repas du lendemain, faisant sa part plus petite quand un malheureux venait lui dire qu’il avait faim, travaillant six jours sans relâche, et trouvant sa joie à sortir le septième avec un enfant à chaque main. Ce fut dans cette existence austère que son ame se prépara silencieusement aux grandes choses.

Lorsque la révolution arriva, il la salua avec une joie calme, mais ferme, et comme une justice attendue. Armé l’un des premiers pour la défense des droits populaires, on voulut lui donner un grade :