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MÉMOIRES DE LAFAYETTE.

on ne marche qu’à travers les justifications, rectifications. — On saisit tout d’abord le trait essentiel, le grand ressort du caractère de Lafayette, et, lui-même, il le met à nu ingénument : « Vous me demandez l’époque de mes premiers soupirs vers la gloire et la liberté ; je ne m’en rappelle aucune dans ma vie qui soit antérieure à mon enthousiasme pour les anecdotes glorieuses, à mes projets de courir le monde pour chercher de la réputation. Dès l’âge de huit ans, mon cœur battit pour cette hyène qui fit quelque mal, et encore plus de bruit, dans notre voisinage (en Auvergne), et l’espoir de la rencontrer animait mes promenades. Arrivé au collége, je ne fus distrait de l’étude que par le désir d’étudier sans contrainte. Je ne méritai guère d’être châtié ; mais, malgré ma tranquillité ordinaire, il eût été dangereux de le tenter, et j’aime à penser que, faisant en rhétorique le portrait du cheval parfait, je sacrifiai un succès au plaisir de peindre celui qui, en apercevant la verge, renversait son cavalier. » Ce ne sont pas seulement les écoliers de rhétorique, ce sont quelquefois les hommes qui sacrifient un succès, c’est-à-dire la chose possible, au plaisir de peindre ou de faire une action d’où résulte le plus grand honneur à leur rôle, la plus grande satisfaction à leurs sentimens.

Dès l’adolescence, les liaisons républicaines charment Lafayette ; ce qu’ont écrit et prêché Jean-Jacques, Mably, Raynal, il le fera ; lui, le descendant des hautes classes, il sera le premier champion, le paladin le plus avancé des intérêts et des passions nouvelles. Le rôle est beau, étrange, hasardeux ; il est fait pour enlever un jeune et noble cœur. Au régiment, dans le monde à son début, Lafayette est gauche, mal à l’aise, assez taciturne ; il garde le silence, parce qu’en cette compagnie il ne pense et n’entend guère de choses qui lui paraissent mériter d’être dites. Il observe et il médite ; sa pensée franchit les espaces, et va se choisir, par-delà les mers, une patrie. « À la première connaissance de cette querelle (anglo-américaine), mon cœur, dit-il, fut enrôlé, et je ne songeai plus qu’à joindre mes drapeaux. »

Il n’a pas vingt ans, il s’échappe sur un vaisseau qu’il frète, à travers toutes sortes d’aventures. Après sept semaines de hasards dans la traversée, il aborde l’immense continent, et en sentant le sol américain, son premier mot est un serment de vaincre ou de périr avec cette cause. Rien de sincère et d’enlevant comme ce départ, cette arrivée ; c’est le début héroïque du poème et de la vie, la candeur qu’on n’a qu’une fois. Plus tard, en avançant, tout cela se complique, se dérange, ou s’arrange à dessein, se gâte toujours.