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conditions de son rôle, en le définissant comme je viens de le faire ; et si c’en a été un des moyens, il n’a rien eu que de permis.

En m’exprimant de la sorte, en toute liberté, je n’ai pas besoin de faire remarquer combien le point de vue du politique et celui du moraliste sont inverses, l’un songeant avant tout aux résultats et au succès, l’autre remontant sans cesse aux motifs et aux moyens.

Sans prétendre suivre en détail Lafayette dans son personnage politique à dater de 89, j’aurai pourtant à parcourir ses mémoires pour l’appréciation de quelques-uns de ses actes, pour le relevé de quelques-uns de ses portraits anecdotiques ou de ses jugemens. Mais aujourd’hui j’aime mieux tirer des trois derniers volumes non publiés, et qui vont très prochainement paraître, de belles pages d’un grand ton historique, qui succèdent à de très intéressans et très variés récits, le tout composant un chapitre intitulé : Mes Rapports avec le premier Consul. Cet écrit, commencé avant 1805, à la prière du général Van Ryssel, ami de Lafayette, ne fut achevé qu’en 1807 et resta dédié au patriote hollandais, mort dans l’intervalle. Ces pages, datées de Lagrange, méditées et tracées à une époque de retraite, d’oubli et de parfait désintéressement, loin des rumeurs de l’idole populaire, y gagnent en élévation et en étendue. J’en extrais toute la conclusion :

« Guerre et politique, voilà deux champs de gloire où Bonaparte exerce une grande supériorité de combinaisons et de caractère ; non qu’il me convienne comme à ses flatteurs de lui attribuer cette force nationale primitive qui naquit avec la révolution et qui, indomptable sous les chefs les plus médiocres, valut tant de triomphes aux grands généraux, ou que je voulusse oublier quand et par qui furent faites la plupart des conquêtes qui ont fixé les limites de la France ; mais parmi tant de capitaines qui ont relevé la gloire de nos armes, il n’en est aucun qui puisse présenter un si brillant faisceau de succès militaires. Personne, depuis César, n’a autant montré cette prodigieuse activité de calcul et d’exécution qui, au bout d’un temps donné, doit assurer à Bonaparte l’avantage sur ses rivaux. Permettons-lui, sous ce rapport, d’en vouloir un peu à la philosophie moderne qui tend à désenchanter le monde du prestige des conquêtes, et qui, modifiant l’opinion de l’Europe et le ton de l’histoire, fait demander quelles furent les vertus d’un héros et de quelle manière la victoire influa sur le bien-être des nations ?

« Ce n’est pas non plus dans les nobles régions de l’intérêt général