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DE L’ÉGLOGUE LATINE.

est curieuse à observer chez le poète de la cour d’Auguste, car là commence la révolution qui a fait de la pastorale chez les modernes une forme allégorique, un costume, un déguisement de fantaisie, pour habiller des idées qui n’avaient rien de rustique, et donner un tour simple et villageois à des traits galans, satiriques, littéraires, philosophiques, politiques et même religieux.

Rien de semblable chez Théocrite, qui s’est mis deux fois seulement en scène, se mêlant à ses bergers, moins comme berger que comme poète, ce qui n’a rien de contraire à la vraisemblance.

« C’était le jour où je me rendis de la ville vers l’Halente, avec Eucrite. Amyntas nous accompagnait. Nous allions à la fête que devaient célébrer en l’honneur de Cérès Phrasidame et Antigène, ces deux fils de Lycopée, ce qu’il reste de mieux de cette antique race de Clytie et de Chalcon ; Chalcon, qui fit sortir du rocher la fontaine de Buris, et grace à qui des peupliers, des ormes à l’ombrage épais, le couvrent de leur vert feuillage. Nous n’étions pas encore à la moitié de notre route, le tombeau de Brasile ne se montrait pas encore à nos yeux, lorsque nous rencontrâmes un voyageur aimé des muses, un homme de Cydon nommé Lycidas. C’était un chevrier, comme on s’en apercevait rien qu’à le voir, car il en avait tous les dehors. Il portait sur ses épaules la dépouille blanche et velue d’un bouc, outre remplie de lait caillé, ainsi que l’odeur le faisait assez connaître. Une large ceinture attachait sur sa poitrine son manteau déjà vieux ; un bâton recourbé d’olivier sauvage armait sa main droite. Il m’adresse doucement la parole ; la joie est dans ses yeux, le sourire sur ses lèvres : « Simichide, où portes-tu donc tes pas à cette heure, à midi, lorsque le lézard lui-même dort dans les broussailles et qu’on ne voit pas voler même l’alouette ? Te rends-tu à quelque repas ? Vas-tu aux vendanges de quelque habitant de la ville ? Dans ta marche rapide les pierres roulent et crient sous ta chaussure. » Je lui répondis : « Cher Lycidas, on dit partout que nul ne t’égale sur la flûte de nos bergers et de nos moissonneurs ; je m’en réjouis fort, et toutefois, permets-moi de te le dire, je crois ne t’être pas inférieur. Nous allons à la fête de Cérès ; des amis offrent aujourd’hui les prémices de leurs récoltes à la déesse qui remplit leurs greniers. Veux-tu, car nous avons même route, comme même soleil, que nous chantions tous les deux, à la manière des bergers ? Peut-être nous ferons-nous plaisir l’un à l’autre. J’ai une bouche, une voix propres à entonner les chansons des muses ; moi aussi, tout le monde dit que je suis un bon poète, un bon musicien, mais je n’y crois guère, non vraiment, par