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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/300

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à la cour de Vienne un effroi qui n’est point encore calmé, qui l’a précipitée plus avant que jamais dans le système russe, et qui est l’unique cause de toutes les concessions qu’elle a faites depuis huit ans aux exigences du czar dans les affaires d’Orient. Mais cette attitude passive à laquelle elle s’est résignée jusqu’aujourd’hui, la conserverait-elle dans une crise décisive ? C’est là une question extrêmement grave, et qu’il appartient à la France seule de résoudre. La situation de l’Autriche est telle qu’elle ne peut avoir la franchise entière de ses mouvemens contre la Russie, si elle n’est point assurée de l’appui moral et matériel de la France. L’alliance de l’Angleterre ne suffirait pas pour donner à son langage et à ses actes toute l’énergie nécessaire. On doit être convaincu que jamais elle ne marcherait contre la Russie si elle ne pouvait compter, non pas seulement sur notre appui moral, mais sur notre concours matériel à l’exécution de ses plans. Si nous les lui refusions, sa pensée resterait obsédée par la crainte de nous voir franchir les Alpes et fondre sur la Lombardie, tandis qu’elle lancerait ses armées contre les Russes. Alors elle aimerait mieux se résigner à un partage de la Turquie que de se livrer à nos coups, et elle n’interviendrait plus sur le théâtre des évènemens que pour recevoir le lot qui devrait lui échoir. En un mot, la politique de l’Autriche, dans une guerre d’Orient, est entièrement subordonnée aux résolutions de la France.


La politique de l’Angleterre, dans cette grande question, repose sur des intérêts d’une telle importance, qu’il suffit de les indiquer pour pressentir sa conduite future. Les états du Levant sont depuis long-temps l’un des plus riches marchés qu’exploitent son commerce et son industrie ; sur presque tous les points de l’empire ottoman et en Perse, elle a détruit à peu près toute concurrence, principalement dans l’industrie des cotons. Ses produits, favorisés par les habitudes des populations, se débitent dans ces contrées en quantités prodigieuses. Si la Turquie s’écroule, et que sur ses débris s’élève la Russie, tout son commerce du Levant se trouve compromis. Cette puissance a tous les genres d’ambition. À la suprématie politique et militaire, elle travaille, avec une ardeur extrême, à joindre, au moins dans sa sphère, la suprématie commerciale. Elle comprend qu’aujourd’hui la véritable force d’un grand état réside dans le développement de sa richesse et de tous les élémens qui constituent une civilisation avancée. On dirait qu’elle est humiliée de sa barbarie, et qu’elle attache sa plus grande gloire à s’élever dans l’échelle de la