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REVUE DES DEUX MONDES.

— N’entendez-vous pas leurs cris d’appel qui s’éloignent. Le gibier est pris, l’embuscade levée, et ils vont souper. Passons notre chemin : si on nous tue, ce ne sera pas dans le même endroit.

En parlant ainsi, le paysan remit son cheval au trot, et je l’imitai. Au bout d’un quart d’heure environ, nous aperçûmes sur la route, à cent pas de nous, quelque chose de noir dont on ne pouvait distinguer la forme ; nous approchâmes avec précaution. C’était un cheval baigné dans son sang et qu’agitait le dernier râle : Claire se couvrit les yeux.

— Qu’est devenu le cavalier ? demandai-je.

— Je le cherche, répondit Ivon.

Nous descendîmes tous deux pour visiter les douves et les haies qui bordaient le chemin ; mais notre recherche fut inutile.

— Ils l’auront emmené pour l’assassiner à leur aise, dit le paysan. Il faut qu’ils soient bien pressés pour tuer comme ça quelqu’un du premier coup, sans avoir le plaisir de le voir mourir… Ne perdons pas notre temps ici ;… on est peut-être déjà à votre poursuite.

Nous retournâmes au cabriolet. En passant près du cheval mort, Ivon s’arrêta tout court.

— Une idée, s’écria-t-il ; si l’on passait la selle et la bride de cette charogne à votre cheval, vous pourriez prendre la traverse !…

— Et le cabriolet ?

— Vous le laisseriez ici ; on croirait que vous avez été attaqué par les brigands, et on ne vous chercherait plus.

L’expédient était trop facile et trop sûr pour n’y point avoir recours. La transformation proposée par Ivon fut exécutée sur-le-champ : en moins de dix minutes je me trouvai à cheval, et la jeune fille en croupe.

— Maintenant, à gauche, par ce petit chemin, dit notre guide ; et bien fin qui nous ratrappera.

À peine avions-nous fait six cents pas dans le chemin creux, que nous entendîmes retentir sur la grande route le galop régulier et lourd, particulier aux chevaux de cavalerie.


E. Souvestre.