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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/357

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DES ÉTUDES HISTORIQUES DANS LE NORD.

idées étaient en mouvement. Tandis que je m’abandonnais à mes premiers rêves, j’errais dans les ombres du soir, et j’allais me heurter contre les pierres et les buissons. La nuit je ne pus dormir. Le jour suivant je lus avec anxiété dans un volume dépareillé de Dalin ce qui se rapportait à mon héros. C’étaient là toutes mes sources historiques. Je ne me rappelle pas avoir fait de lecture plus pénible, et pourtant il fallait en extraire le suc le plus pur de l’éloquence académique. C’était une terrible tâche. Grâce au ciel, l’ancien administrateur du royaume de Suède n’en a rien su dans sa tombe. Après avoir long-temps combiné mon œuvre, il s’agissait de l’écrire, et ce n’était pas une petite difficulté, car il fallait avoir du papier, et mon père avait à cet égard des habitudes sévères d’économie. J’avoue que je dérobai tout ce qui m’était nécessaire, puis je cachai mon larcin dans une niche vide pratiquée dans le mur. Ce fut là aussi que le discours s’en alla feuille par feuille à mesure que je l’écrivais. Il n’était pas facile non plus de travailler en secret dans une maison où nous savions tous ce que chacun de nous faisait. Enfin j’arrivai à mon but sans mettre personne dans ma confidence, et la main tremblante, le cœur palpitant d’émotion, un beau jour j’enfermai pour la dernière fois dans l’armoire obscure mon œuvre copiée, cousue, scellée et prête à partir le lendemain pour le Parnasse. Je ne pouvais l’inscrire dans notre livre de poste sans éveiller l’attention. Mais le soir, tandis que notre ménagère était loin, je pris sa clé, je glissai mon discours dans la boîte. Le lendemain de bon matin je m’en allai à la poste voisine et mon paquet partit.

« Je passai l’automne au sein de ma famille. Au commencement du mois de décembre, je lis un jour, dans les feuilles de Stockholm, que l’auteur du discours sur Sten Sture, portant pour épigraphe : Non civium ardor prava jubentium, est invité par le secrétaire de l’académie à se faire connaître. Ma sœur me demanda pourquoi le rouge me montait au visage tandis que je lisais le journal. J’ignorais si cette invitation était d’un bon ou d’un mauvais augure, et je répondis à ma sœur avec un mélange de crainte et d’espoir. Le jour suivant, je reçus une lettre du gouverneur de la province, qui m’annonçait que l’académie m’avait décerné un grand prix. Je me précipitai, la lettre ouverte à la main, dans la chambre de mes parens, et tous restèrent muets de surprise. Ma bonne mère me serra sur son cœur, mes frères et mes sœurs m’embrassèrent, et tous les amis de notre maison se réjouirent. Celui qui s’était déclaré mon protecteur s’en alla chez un frère, posa une chaise sur la table, s’assit sur la chaise et proclama à haute voix mon triomphe. Mon père, je m’en souviens, ne m’avait jamais fait aucune caresse. Nos rapports avec lui, quoique pleins d’affection, étaient trop respectueux pour admettre l’épanchement. Ce jour-là, dans un moment où nous nous rencontrâmes par hasard, il étendit la main et la posa sur ma poitrine. Jamais nul témoignage de tendresse, nul succès ne m’a autant ému. Aujourd’hui encore je ne peux y songer sans attendrissement[1]. »

  1. Minnen, Utdrag ur bref och Dogbœcker, in-8o, 1834.