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ESPRIT DE LA SESSION.

Dans le rejet du projet ministériel sur les chemins de fer, il y a une cause plus profonde qu’une opposition au cabinet. La chambre, sans peut-être s’en rendre tout-à-fait compte elle-même, a exprimé les instincts du pays désireux de s’associer à l’action du gouvernement dans les travaux de l’industrie qui ouvrent à l’activité de tous une nouvelle carrière. Le projet ministériel avait le tort de tout attribuer à la force du pouvoir central, sans appeler au partage de ces vastes entreprises l’aptitude et les capitaux des particuliers. Faut-il s’étonner au surplus de ces tâtonnemens au début d’un ordre de choses et de travaux si nouveau pour tous ? Le gouvernement et la société feront encore quelque temps un apprentissage nécessaire, avant de marcher sans hésitation dans des voies où l’Angleterre et les États-Unis nous ont devancés.

C’est précisément au moment où les fractions opposantes croyaient toucher au triomphe, que la chambre commença de prêter au ministère un appui plus ferme. Depuis le 11 mai jusqu’au 22 juin, la majorité ne manqua au cabinet, ni pour le budget, ni pour les crédits d’Afrique. Sur ce dernier point le gouvernement triompha des passions anti-françaises qui chaque année jettent l’alarme et sonnent la retraite.

Il n’est donc ni exact ni équitable de dire que, durant la session de 1838, l’existence du ministère n’a pas été parlementaire. Le cabinet s’est soumis aux conditions constitutionnelles : trois fois en cinq mois il a mis aux voix sa durée ou sa chute. La coalition des fractions opposantes ne s’est pas aperçue qu’en adressant aux ministres du 15 avril le reproche de n’être pas parlementaire, elle ne faisait que reproduire les argumens dont l’opposition de gauche se servait il y a quatre ans. Ainsi, au début de la chambre de 1834, le ministère avait aussi à se justifier du tort de n’être pas parlementaire, et M. Guizot, chargé de ce soin, s’exprimait ainsi : « Il faut parler selon la vérité des choses et ne pas se repaître de fictions. Non, la majorité n’est pas servile, elle n’est pas dépendante, elle juge selon son opinion, et le ministère, de son côté, a son indépendance également. Quand habituellement ils sont d’accord, quand le système d’idées, de conduite, dans lequel agit le cabinet, est en même temps le système de la majorité, on a droit de dire qu’il est l’organe de la majorité, qu’il y a accord entre elle et le cabinet, quand même dans quelques occasions il se manifeste une dissidence qui n’a rien de radical et ne va pas au fond des choses. » On ne saurait décrire avec plus d’exactitude la position même du ministère devant la chambre de 1838. La majo-