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communications pourraient souvent devenir impossibles entre un corps d’armée suivant la route et les troupes détachées qui devraient couronner les crêtes. Ajoutez à cette difficulté qu’il faut passer trois fois le Kaddara depuis l’entrée dans la gorge jusqu’à la sortie.

Le défilé a un caractère fort sauvage dans presque toute son étendue. Cependant, de temps à autre, un élargissement subit du lit de la rivière livre une petite portion de terre cultivable à l’industrie des Kabaïles, et l’aspect inattendu de champs de blé ou d’orge resserrés entre le Kaddara et ses berges rocheuses ôte pour un moment à cette rude localité quelque chose de son âpre physionomie.

La rivière, malgré son resserrement dans le défilé, n’avait qu’un faible volume d’eau à l’époque où nous l’avons traversée ; sa largeur ne nous a jamais paru aller au-delà d’une trentaine de pieds. Elle coule constamment sur un lit de rocher calcaire gris bleu, entre deux escarpemens de même nature dont la hauteur est souvent d’une quarantaine de pieds. Dans les endroits où il roule ainsi encaissé entre deux murailles couleur d’azur, le Kaddara nous a plus d’une fois rappelé le gigantesque ravin du Rummel ; il ressemble alors à ce dernier autant qu’un nain peut ressembler à un géant. Comme toutes les rivières qui descendent de montagnes élevées et abruptes, ce cours d’eau présente des barrages et des chutes qui ne sont pas très considérables, il est vrai, mais qui offrent au voyageur des aspects fort pittoresques, en attendant qu’ils donnent au colon industrieux d’utiles moteurs pour les usines qu’un avenir peu éloigné peut-être verra s’établir dans cette partie de l’Atlas.

Dans le trajet du défilé nous trouvâmes partout les montagnards au travail. Les uns coupaient du bois pour aller le vendre à Alger ; d’autres se livraient à la fabrication du charbon ou conduisaient une charrue traînée par des bœufs, des chevaux et même des mulets, dans le petit nombre d’endroits susceptibles d’une culture facile. Les populations au milieu desquelles nous passions manifestaient beaucoup de surprise à notre aspect ; quelques pâtres, du haut de leurs montagnes, nous adressaient des injures. C’était surtout l’épithète de Tahhanin qu’ils nous appliquaient de préférence, et elle ne pouvait guère nous offenser, car nous étions tous célibataires.

Lorsque nous sortîmes enfin du défilé de Kaddara et que nous eûmes passé cette rivière pour la dernière fois, nous n’avions pas encore achevé de tourner le mont Ammal, dont nous apercevions sur notre droite le sommet ballonné et grisâtre ; mais il ne nous restait plus, pour obtenir ce résultat et descendre dans la vallée du Haut-