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VOYAGE AU CAMP D’ABD-EL-KADER.

qui la dirige réellement est un ex-maréchal-des-logis d’artillerie, qui a été condamné à deux ans de prison pour avoir quitté son poste au blockhaus de Sidi-Klifa et qui a rompu son ban il y a environ cinq mois. Mais il y a un bach-topdji, sorte de capitaine d’artillerie indigène, qui n’entend rien au service de cette arme, et qui cependant en a le commandement.

La portion irrégulière de l’armée se groupe par tribus. On peut dire que, sous ce rapport, tout le pays y était en grande partie représenté : on y voyait des Marocains, des gens de Tlemsen, des Beni-Amer, des Gharabas, des Hachem, des Bordjia, des Djendel, des Hadjoutes, en un mot, des combattans de tous les points de la régence. Nous y avons même remarqué des cavaliers de El-Farhhat-Ben-Saïd, le grand cheik du désert[1], jadis notre ami et maintenant allié d’Abd-el-Kader.

Sauf les nègres qui font faction à la porte de l’émir et quelques vedettes placées hors du camp, le service de surveillance et de police, pendant le jour, est exercé par des chiaouches armés de bâtons dont ils font un fréquent usage, mais seulement sur les irréguliers : nous n’avons jamais remarqué qu’ils aient frappé des gens de l’askar proprement dit. La nuit, les tentes espacées régulièrement à la circonférence du camp, forment comme autant de postes qui fournissent des factionnaires avancés ; mais ceux-ci ne devaient pas être fort éloignés du reste de l’armée, car, de la position centrale que nous occupions, nous entendions très distinctement, et à peu de distance, les cris de : Allah daïm ! (Dieu toujours), qu’ils répètent toute la nuit, et qui répondent à notre sentinelle, prenez-garde à vous !

Malgré les efforts de l’émir pour donner à son armée quelque chose de la régularité européenne, cette armée n’offrirait qu’une masse peu redoutable à des soldats disciplinés ; mais comme Abd-el-Kader a conservé tous les avantages que les indigènes ont sur nous, et dont le principal est la mobilité, et que de plus il a toute la supériorité que donne une organisation, si imparfaite qu’elle soit, sur le désordre complet, il en résulte qu’il a été partout victorieux.

Depuis cinq mois qu’il tenait la campagne, il avait parcouru toute la longueur de la régence, en suivant la lisière du désert, laissant des garnisons partout, même à Baba-Denden, aux confins du Kobla. Son noyau de soldats réguliers lui a permis de trouver des auxiliaires

  1. C’est le chef que nous appelons, on ne sait trop pourquoi, le grand serpent du désert. Le titre qu’il prend réellement dans ses lettres est beaucoup plus original. Il s’intitule : le voltigeur sur la lame du sabre.