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gion), arrivèrent sous les murs d’Oran, et, renforcés de contingens successifs qui portèrent leur nombre à près de 10,000 hommes, attaquèrent cette place nuit et jour jusque dans la matinée du 9.

Le marabout, dont la voix puissante avait appelé tant de musulmans à la guerre sainte, c’était le père d’Abd-el-Kader. C’est avec lui et sous les murs d’Oran que l’émir fit ses premières armes, et ses compatriotes assurent qu’il se distingua beaucoup dans les nombreux combats qui furent alors livrés. Cependant les relations officielles qui racontent longuement cette chaude attaque ne prononcent même pas son nom. C’est qu’à cette époque comme il se plaît maintenant à le répéter, il n’était qu’un des quatre fils de son père, n’ayant d’autre richesse que son cheval et ses armes, d’autre moyen d’augmenter sa chose, que la dépouille de l’ennemi qu’il avait tué dans un combat. Six années sont à peine écoulées depuis ce jour, et le fils obscur d’un marabout de la tribu des Hachem est devenu le sultan des Arabes ; car le titre d’Emir-el-moumenin (prince des croyans) ne suffit même plus à son ambition. Le traité du général Desmichels lui avait donné le pays qui s’étend entre les frontières du Maroc et le Chélif ; celui de la Tafna y ajoute la province de Titteri, une grande partie de celle d’Alger et l’amène sur les crêtes du Petit-Atlas, d’où il suit d’un œil peu bienveillant les charrues chrétiennes qui commencent à sillonner la Mitidja. La manière dont il entend la foi des traités lui permet d’augmenter encore ce territoire déjà fort considérable. On a vu qu’il a récemment saisi une portion, petite il est vrai, de la province de Constantine. Trop scrupuleux pour franchir les Biban, il les tourne et se dirige sur l’antique Cirtha, en passant par Biscara. Matériellement parlant, c’est le chemin le plus long ; mais qui sait si, sous le rapport politique, ce n’est pas le plus court ?

Tout en déplorant, dans l’intérêt de notre établissement, l’élévation outrée d’Abd-el-Kader, on ne peut s’empêcher de reconnaître que ce chef s’est toujours montré digne d’une haute fortune. En même temps qu’il savait tirer parti des circonstances favorables, il ne s’est jamais laissé abattre par l’adversité. À une époque où tout paraissait désespéré pour lui, où son armée était dispersée, sa capitale presque détruite, où quelques cavaliers des Beni-Amer et les fidèles Hachem, ses compatriotes, composaient la seule force dont il pût disposer, on lui adressa une lettre de menaces dans laquelle on décrivait sa triste position et le peu qui restait à faire pour consommer sa ruine. Voici quelle fut sa réponse : « Quand, placé sur le rivage, on regarde les poissons nager librement dans la mer, il semble