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PROMÉTHÉE
POÈME DE M. EDGAR QUINET.

Nous ne nous excuserons pas de venir un peu tard parler du Prométhée de M. Quinet. Les esprits qui se plaisent aux grandes et sérieuses conceptions de ce poète, comme ceux qu’effraie le vol de cette muse amie des hautes cimes, s’accordent au moins à reconnaître que peu d’écrivains, en ce temps de bruit et de gloires éphémères, ont fait moins de sacrifices à la mode, moins de génuflexions à la popularité. Les productions de M. Quinet, pleines d’audace, d’originalité, d’imagination, de qualités solides, ne sont pas de celles que quelques mois vieillissent et qui se rident avant que la critique ait eu le temps de les envisager. Ahasvérus et Napoléon n’ont pas trouvé seulement de nombreux lecteurs en France ; ils comptent des amis et des adversaires dans toute l’Europe. Il y a peu de jours, M. Quinet démontrait éloquemment, dans ce recueil, l’unité des littératures modernes ; il n’est pas seulement l’historien de cette vérité glorieuse, il en est lui-même la démonstration poétique et vivante : ses ouvrages sont écrits pour la France, et pensés pour l’Europe.

En effet, M. Quinet n’est pas un poète épique de la famille d’Homère ; s’il fallait absolument lui trouver une généalogie, je le dirais fils de Milton et frère de Shelley. Ce qu’il poursuit, ce n’est pas l’épopée narrative, nationale ou individuelle. Le monde qu’il habite surtout est celui des idées ; s’il porte ses regards sur la terre et sur l’histoire, c’est pour y chercher un symbole, à l’aide duquel il puisse douer de la vie de l’art une idée sociale et religieuse encore muette et inexpri-