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logique l’usage qui est venu jusqu’à nous de porter aux doigts des anneaux de métal avec de petites pierres enchâssées[1]. N’est-il pas bizarre de songer que c’est de Prométhée que nous vient l’usage des bagues, y compris l’anneau de saint Pierre et celui du doge de Venise ?

C’est précisément la puérilité du dénouement antique qui a inspiré à M. Quinet l’idée d’un autre Prométhée. Il lui sembla que la fable du Caucase ne pouvait se clore dans le système païen que par un sophisme indigne de l’art. Tant que le dieu prophétisé par le titan ne paraissait pas, tant qu’une étoile nouvelle ne brillait pas au ciel pour les bergers et pour les mages, le supplice du Caucase n’avait aucune raison de finir. Le Christ, en un mot, parut à M. Quinet le seul rédempteur possible de Prométhée.

Cette idée, quelle que soit sa valeur dogmatique, est poétiquement très heureuse et très élevée ; elle est digne de l’auteur d’Ahasvérus. Annoncée et préparée dans les deux premières parties du poème, elle est réalisée et menée à fin dans la troisième. Ici les beautés abondent. J’ai pourtant une ou deux observations à présenter encore à l’auteur.

Voyons d’abord comment il a disposé la grande scène de la délivrance.

Dès l’ouverture de la troisième partie, nous voyons deux archanges, Michel et Raphaël, descendre du ciel et s’arrêter sur le Caucase. Ils n’ont pas reçu la mission expresse de délivrer Prométhée ; ils le rencontrent sur sa roche, ils le plaignent ; ils croient retrouver en lui un frère ; ils apprennent de sa bouche la cause et les détails de ses souffrances. En retour, le prisonnier reçoit des deux anges une bonne nouvelle : les dieux olympiens ne sont plus :

Jupiter est tombé de son ciel idolâtre.

Prométhée, toujours incrédule, doute des mystères de Béthléem. Pour le convaincre, Raphaël, au nom du Christ, commande aux fers du captif de se briser : il est libre, et bientôt porté, de ciel en ciel, aux pieds du Très-Haut.

Cette délivrance de Prométhée par deux archanges qui, sans mission et un peu au hasard, font tomber les fers du vieux prophète des gentils, me paraît une invention un peu froide. Je m’attendais, en approchant du moment solennel, à rencontrer une scène plus

  1. Hygin., Proct. astron., XV. — Isidor., Orig., XIX, 32.