Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/496

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
492
REVUE DES DEUX MONDES.

la population libre de couleur, et de lui garantir légalement la condition civile et politique qui avait jusqu’alors exclusivement appartenu à la population blanche ; les autres, celles qui tendaient à témoigner quelque bienveillance pour le sort des nègres esclaves, n’ont guère eu d’autre portée que de régulariser le passé, d’améliorer un peu le présent et d’étendre tout au plus leur prévoyance à un avenir bien limité. Expliquons-nous, et d’abord mettons hors de cause la loi du 24 avril 1833, qu’on a appelé la charte des colonies, et qui, à ce titre même de charte, ne devait intéresser que les personnes qui, se possédant elles-mêmes, pouvaient posséder ou recevoir des droits, c’est-à-dire les hommes libres de toute couleur, entre lesquels le gouvernement de juillet venait effacer enfin les anciennes et arbitraires distinctions d’origine. Restent, au nombre de quatre, les autres actes publics, que nous avons tout à l’heure cités : voyons quelle est leur valeur, quel a été surtout le sens qu’on a dû y attacher au moment et dans les circonstances de leur promulgation.

La loi du 4 mars 1831 n’a eu d’autre but que d’abolir efficacement la traite des noirs, qui l’était de droit, depuis le grand acte législatif du 15 avril 1818, mais qui avait continué presque jusqu’aux derniers jours de la restauration avec une liberté manifeste, et quelquefois, de la part des gouverneurs de nos îles, avec des facilités scandaleuses, visiblement tolérées ou recommandées par l’autorité centrale de la métropole. La commission de la chambre, chargée du rapport sur la proposition de M. Passy, tout en faisant peser un grave reproche sur le gouvernement de la restauration, parce que la traite, sous sa surveillance et malgré ses lois, n’a pas cessé de se pratiquer, hésite néanmoins à déclarer s’il a été indignement déçu ou s’il a trompé la France. Nous avouons qu’il nous est impossible de conserver la même incertitude. Il nous souvient d’avoir vu, à l’île Bourbon, en 1825, la plus lourde gabare qui fut jamais, la Mayenne, se mettre en mouvement avec sa lenteur native pour remonter péniblement de la rade de Saint-Denis jusqu’aux quartiers du vent de l’île, où l’on avait signalé un navire fin voilier, et plus que suspect, lequel, pendant cette manœuvre paresseuse, aurait bien eu le loisir de débarquer plusieurs cargaisons de noirs et de disparaître, faisant voile de nouveau vers les côtes de Mozambique ou de Madagascar. C’était un spectacle auquel ne manquaient pas de venir chaque fois rire et applaudir les colons, admirateurs intéressés de cet ingénieux procédé de répression de la traite par un bâtiment de guerre incapable de marcher ; on croyait savoir, et l’on disait à haute voix que cette qualité négative avait pré-