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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/508

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a pas d’autre représentation plus élevée dans les colonies : en effet, quand un rôle est vacant, il se présente toujours une puissance pour le saisir ; et, dans l’éloignement des pouvoirs législatifs de la métropole, il était facile de prévoir que les conseils coloniaux voudraient usurper quelque chose des droits de la législature.

Le conseil colonial de la Martinique se compose de 30 membres, et tous appartiennent à la population blanche. Nous l’aurions bien prophétisé avant d’ouvrir la statistique officielle, qui, du reste, ne cite aucun mulâtre comme ayant fait irruption dans cette petite assemblée aristocratique, et c’est, à vrai dire, son silence que nous interprétons ici, mais sans craindre aucune erreur. Le nombre des électeurs compris dans les six colléges de cette île s’élève à 819, dont 128 appartiennent à l’ancienne classe de couleur libre. Le nombre des éligibles s’élevait, en 1836, à 507, dont seulement 44 hommes de couleur.

Les conditions pour être électeur et éligible ont été pourtant réglées d’une manière assez libérale (voyez la loi du 24 avril 1833) pour rendre cette double distinction plus accessible qu’elle ne l’a été jusqu’ici aux hommes de couleur, si l’amour du travail, le goût de l’économie, l’ordre même matériel qu’inspirent des mœurs plus pures, s’étaient déjà développés dans cette classe comme elles se développeront plus tard, nous n’en doutons pas. Le jour où, par le contre-coup d’une révolution opérée en France, le bienfait subit de l’égalité civile et politique est venu surprendre les individus libres de couleur, il n’y avait dans cette classe qu’une bien faible minorité qui fût en mesure de recueillir tous les fruits d’une si large concession de la loi. On comptait, à ce moment, parmi eux, peu d’unions légitimes. Le ministère de la marine nous révèle que le nombre des mariages est devenu depuis lors plus considérable, et que la tendance à une vie régulière se manifeste d’une manière de plus en plus sensible. Mais il faudra du temps pour que l’esprit de famille, en se propageant, fasse entrer profondément dans les habitudes de la population de couleur l’esprit de propriété, cette conséquence naturelle d’une situation plus fixe et d’une existence mieux subordonnée au premier des devoirs sociaux.

Autrefois, et encore trop généralement dans ces derniers temps, les libres de couleur, ceux-là même qui se distinguaient le plus du reste de leur caste par des dispositions laborieuses, aimaient mieux vivre dans les villes, y appliquer leur adresse innée à quelques professions manuelles, remplir les emplois, abordables pour eux, de commis et de scribes, ou s’enrichir par le commerce, que d’acheter de la terre et de se vouer à la culture, même avec le concours de bras es-