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DE LA QUESTION COLONIALE.

Quant aux esclaves, on leur a fait généralement un assez doux régime de servitude. Le travail étant à la tâche sur presque toutes les habitations, il est facile à un bon noir de terminer l’ouvrage qu’il doit à son maître, vers deux heures de l’après-midi. Le reste de la journée lui appartient, il peut l’employer, ainsi que les dimanches et les jours fériés, soit à la pêche, soit à la culture des vivres, ou à d’autres occupations qui augmentent son bien-être. La valeur moyenne du travail d’un esclave cultivateur est de 1 fr. 50 c. à 2 fr. 20 c. par jour. En défalquant des 365 jours de l’année les dimanches et fêtes, les samedis, dont on laisse ordinairement la disposition aux noirs, les temps de maladie, etc., il se trouve que le maître n’obtient pas annuellement de chacun de ses esclaves valides plus de 227 journées de travail.

Il nous semble qu’un pareil ordre de choses tend naturellement à doter l’administration de la Guyane d’institutions et de garanties nouvelles, comme le pécule légal, les caisses d’épargne spéciales pour les noirs, le rachat forcé, imposable aux maîtres dans certaines conditions. Ce loisir abandonné aux esclaves, doit-il être pour eux tout-à-fait inutile ? Ne faut-il pas leur donner la pensée et le courage d’amasser, dans le but de se mettre sous la protection de la loi, et de se racheter eux-mêmes sans être trop marchandés.

La longévité des esclaves à la Guyane n’est pas, comme dans les autres colonies, supérieure à celle des maîtres ; elle lui est inférieure, si l’on admet pour incontestables les calculs de l’administration ; mais la différence toutefois est fort peu de chose. En 1836, on comptait 903 esclaves au-dessus de soixante ans, c’est-à-dire un peu moins du dix-huitième de cette population, et 378 libres dans la même catégorie, par conséquent un peu moins du dix-septième de tous les libres.

On est heureux de voir que le mariage remplace peu à peu, dans la classe des esclaves, ces unions désordonnées que le hasard fait et défait, qu’un changement de maître peut dénouer brusquement, et qui étaient les seules alliances connues autrefois de nègre à négresse. En huit années, du 1er  janvier 1828 au 31 décembre 1835, il a été célébré, dans la ville et banlieue de Cayenne, 160 mariages religieux entre esclaves, à peu près 20 par année. Il y en a eu 34 en 1828 et 37 en 1829 : l’institution semblait alors en progrès. Cependant on n’arrive pas à plus de 43 mariages en 1836, c’est-à-dire à un seul sur 386 esclaves, tandis qu’on en compte un sur 142 libres de couleur, un sur 55 blancs. Une telle infériorité du côté des esclaves, et surtout cette lenteur dans la progression, ne deviennent excusables que par la comparaison avec les autres colonies.