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sont aussi en mon pouvoir. » Aussi la joie régnait dans le camp des Persans, sur le Gavakhan ; on y entendait toute la journée le tambour turc ; des Tartares y avaient établi leurs boutiques de raisins de Corinthe et d’assaisonnemens pour le pilau ; ce n’était partout que jubilation et confiance entière.

Les assiégés, au contraire, souffraient beaucoup du manque de vivres et de fourrages pour les bestiaux. Il leur fallait souvent envoyer une compagnie entière pour ramasser au dehors des provisions, et elle ne revenait jamais sans avoir éprouvé quelques pertes. Pendant ce temps, Abbas-Mirza canonnait sans relâche la forteresse : il avait dressé des batteries en deux endroits différens, et les travaux du siége étaient dirigés par un officier français. Le colonel Reutt avait prié le général en chef de le secourir ; mais celui-ci lui envoya l’ordre d’évacuer la place, si elle n’était plus tenable. Cet ordre, signé d’Yermolof, fut intercepté par les Persans, et Abbas-Mirza profita de cette circonstance pour proposer encore au colonel Reutt de lui rendre la place à des conditions avantageuses. Cet officier souffrait beaucoup du manque de vivres, et il ne pouvait espérer d’être promptement secouru. Il pensa qu’il pouvait trouver là un moyen de gagner du temps, et répondit à Abbas-Mirza qu’il était prêt à se rendre, pourvu qu’il eût la certitude que l’ordre qui lui avait été transmis par le prince de Perse était bien réellement de son chef. On lui permit là-dessus d’envoyer à Yermolof le major Kluke de Klugenau, chargé ostensiblement de demander l’autorisation de rendre Choucha, et en réalité d’annoncer au général en chef qu’il ne l’avait pas rendue, et qu’il était prêt à la défendre jusqu’à la dernière extrémité. Il y eut une suspension d’armes de dix jours, pendant lesquels la garnison s’occupa à remettre les fortifications en état, à ramasser les boulets et les bombes que l’ennemi avait jetés en grande quantité dans la place, à armer et à exercer les Arméniens restés fidèles, et enfin à moudre des grains, ce qui présentait d’assez grandes difficultés. Lorsque la trêve fut expirée, Reutt entra encore en négociation avec les Persans, et trouva moyen de temporiser ainsi jusqu’au 30 août. Abbas-Mirza lui fit les plus belles conditions. Il promit aux assiégés de les laisser sortir librement et rejoindre l’armée russe, et, pour donner plus de poids à ses promesses, il engagea par un serment solennel ses principaux officiers et ses moullahs. Reutt, qui avait gagné du temps en faisant toujours de nouvelles objections, finit par déclarer qu’il ne se rendrait pas, et que les assiégés étaient résolus à s’ensevelir sous les murailles de la ville. Les Persans se préparèrent à donner l’assaut, et les assiégés