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COURS DE LITTÉRATURE FRANÇAISE.

nui qui vous a donné rendez-vous pour ce soir ou pour demain, et qui ne sera, hélas ! que trop exact à l’heure ; de ne rentrer chez soi que pour changer de livres et de méditations, ou pour se livrer à ce repos absolu qui est doux comme le sentiment d’une bonne conscience ! Aujourd’hui, c’est Montesquieu qui fera les frais de la journée ; demain, ce sera Tacite. On se crée des semblans d’étude, on se ménage des récréations. Le fond de la vie, c’est un abandon complet aux lettres, sans ambition personnelle, sans autre passion que celle d’embellir et d’épurer son intelligence. Une vie, formée sur ce modèle, serait-elle heureuse ? Cette contemplation éternelle n’enfanterait-elle pas le dégoût, la paresse, la folie peut-être ? C’est possible. Il vaut mieux l’imaginer que la posséder ; mais on avouera au moins que l’idée en est délicieuse.

L’idée m’en est cent fois venue en lisant l’ouvrage de M. Villemain. Je me suis dit avec amertume que je ne lisais pas assez ; je me suis promis d’allonger ces heures que tout homme qui sait vivre réserve pour lui seul et dont on ne jouit jamais mieux qu’en les employant à des études de goût. J’ai pris avec moi-même l’engagement d’esquiver cent sottes affaires dont on s’embarrasse étourdiment, pour m’adjuger non seulement des heures, mais des jours entiers, un petit nombre de jours bien nets d’affaires, bien religieusement consacrés à mon propre plaisir, n’appartenant qu’à moi et à mes livres. M. Villemain, au milieu des mille occupations qui l’accablent, membre du conseil de l’Université, secrétaire perpétuel de l’Académie, pair de France et orateur de l’opposition, trouve bien du temps pour son immense et infatigable lecture ! Quel est le livre qu’il n’ait pas lu ? quel est le poète dont il ne sache pas les vers par cœur, pour peu que ce poète en ait fait qui soient dignes d’être retenus ? Vous vous rappelez confusément que Cicéron a dû dire telle chose : attendez ; n’allez pas chercher votre Cicéron, et fouiller péniblement l’Index que quelque savant allemand a mis dix ans à compiler : M. Villemain est là ; voici le passage tout entier que vous auriez eu plus de peine à retrouver que M. Villemain n’en a eu à l’apprendre. Vous balbutiez la moitié d’un vers de Térence ; M. Villemain achève avec cette liberté et ce feu de débit qu’il fait passer, je ne sais comment, dans ses citations écrites. Vous nommez quelque poète latin moderne : M. Villemain l’a lu, il y a vingt ans peut-être, c’est-à-dire qu’il le sait par cœur. Il n’y a pas un coin dans notre littérature française que M. Villemain n’ait soigneusement visité. Dans ce dix-huitième siècle, où tout le monde a écrit, je ne sais pas un mérite si humble, si