Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/657

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
653
COURS DE LITTÉRATURE FRANÇAISE.

vent dans son ouvrage. Il cite l’exemple de l’Angleterre où, presque à la même époque, l’impiété, mise à la mode par de beaux-esprits, trouva à qui parler dans de savans et d’éloquens apologistes du christianisme. Admirateur passionné du génie de ces grands écrivains du XVIIIe siècle, épris comme eux de l’amour des lettres et de la liberté, M. Villemain ne fait pas grace, pour cela, à la licence et à l’impiété, il les flétrit avec une indignation qui vient de l’ame, même sous la plume de Voltaire, même parées de toutes les graces de la poésie, à plus forte raison sous la plume de Diderot. La juste mesure avec laquelle M. Villemain fait la part du bien et du mal, rend justice aux qualités de l’homme souvent meilleur que le philosophe et le moraliste, analyse les maladies du génie et le plaint en l’admirant ; ce mélange de compassion et de sévérité, d’enthousiasme et de discernement fait d’un ouvrage de critique et de goût une œuvre excellente de morale. Le goût pour le beau s’allie si naturellement à l’amour du bien ! En renvoyant à une société corrompue, à un gouvernement de despotisme sans gloire, la responsabilité de la licence qui déshonore trop souvent la littérature du XVIIIe siècle, M. Villemain a-t-il fait connaître le secret de cette étrange alliance du génie du bien et du génie du mal, dont les inspirations semblent se mêler dans les écrits de cette époque ?

Je voudrais le croire ; je le crois presque à force de le désirer. Je serais heureux de rejeter sur un gouvernement déshonoré toute la fange d’un siècle dont nous n’aurions hérité que la liberté et l’esprit d’examen ; j’aimerais à penser qu’en renversant ce gouvernement et en fondant une société nouvelle, le XVIIIe siècle a expié, dans son sang généreusement répandu, ses complaisances pour la corruption des belles dames et des grands seigneurs, et les erreurs de sa philosophie ; je rendrais avec joie aux abbés libertins et incrédules de ce temps tous les romans, tous les contes, tous les poèmes scandaleux, tous les pamphlets athées, tous les catéchismes matérialistes qui ont fait leurs délices avant que la philosophie ne leur enlevât leurs gros revenus. J’ai vu souvent avec indignation des gens qui regrettent, dans l’amertume de leur cœur, les abus, les désordres politiques et sociaux dont la partie licencieuse de la littérature du XVIIIe siècle n’a été que l’accompagnement naturel, imputer hypocritement tout le mal aux lettres et à la philosophie. Je n’écoute pas des énergumènes qui crient que Rousseau a renversé les fondemens de la société, quand j’aperçois que ce qu’ils appellent la société et ses fondemens, c’est quelque chose comme le despotisme incohérent de Louis XV. S’il faut