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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

Iona, l’Île Sainte. — Jura.[1]

La nuit, même en avril, arrive lentement dans les îles de l’ouest ; la nuit était cependant déjà profonde quand, à demi morts de fatigue, nous nous laissâmes tomber de dessus nos chevaux nains à la porte de la maison d’un bon habitant de Bunessan, ami et parent d’un de nos guides. La lassitude nous laissait à peine la force de manger ; aussi, après avoir avalé à la hâte une couple de haddocks fumés, une galette d’avoine, où il y avait au moins autant de son que de farine, et bu une ou deux jattes de lait, avons-nous demandé nos lits. L’hôte a pris la lampe, et, marchant devant nous, il a poussé une cloison d’osier, décorée du nom de porte, qui séparait la pièce principale où il nous avait reçus d’une autre petite chambre. Dans un coin de cette chambre, entre quatre larges pierres plates, dressées sur leur épaisseur, on avait répandu plusieurs bottes de paille et des fagots de bruyère. « Voilà les lits que vous demandez, » nous dit notre hôte en posant la lampe sur une des pierres. Il fallut se résigner, et paraître même satisfait pour ne pas blesser l’amour-propre de l’obligeant montagnard ; nous nous étendîmes donc entre les pierres sur la molle couche de bruyère, où toute une famille aurait certainement pu se nicher. Notre vieux guide, homme de précaution, était allé, pendant ce temps, chercher son plaid qui séchait étendu devant le feu de tourbe allumé au centre de la pièce où nous avions soupé ; il le jeta charitablement sur nos membres fatigués, en nous souhaitant une bonne nuit, un bon sommeil. Loin de songer à relever tout ce qu’il pouvait y avoir d’ironie dans ces paroles, je préférai, ainsi que mon compagnon, prendre mon homme au mot ; je dormis, et je dormis mieux peut-être que je n’eusse pu le faire sur le meilleur lit de duvet.

  1. Voyez la livraison du 15 juillet 1838