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Le monastère d’Iona avait atteint le plus haut degré de prospérité, quand, dans l’année 807, les rois de la mer, guidant une nombreuse flotte danoise, descendirent dans l’île et la saccagèrent. « Nous venons de leur chanter la messe des lances, disaient, avec des rires féroces, ces barbares, en dévastant le couvent ; elle a commencé de grand matin, elle a duré jusqu’à la nuit ! » Beaucoup de religieux furent tués ; les autres, avec Collach, leur abbé, se réfugièrent sur le continent, et, pendant sept années, Iona ne présenta plus qu’un monceau de ruines. Des moines de Cluny s’établirent au milieu de ces décombres, relevèrent les murailles du couvent, restaurèrent le monastère, et s’y maintinrent jusqu’à la réforme. À cette époque, il fut définitivement dissous, et ses revenus, qui étaient considérables, furent réunis à ceux de l’évêché d’Argyle.

Le monastère d’Iona, aux temps de sa prospérité, devint la pépinière des évêques des trois royaumes, et sa bibliothèque était fameuse dans toute l’Europe. Elle renfermait les archives de l’Écosse, et un nombre incalculable de manuscrits précieux et uniques qui furent ou dispersés ou détruits lors de la réforme. Cette bibliothèque avait, parmi les lettrés du moyen-âge, une sorte de réputation qui tenait de la fable. Boëce raconte, par exemple, fort sérieusement que Fergus II, compagnon d’Alaric, qui l’avait assisté au sac de Rome, rapporta, pour sa part du pillage de cette ville, un coffre rempli de manuscrits de toute espèce dont il fit présent au couvent d’Iona. Une seule réflexion suffit pour placer au rang des contes l’allégation de Boëce, c’est que le monastère d’Iona ne fut fondé que près de cent années après le sac de Rome par Alaric. Si donc des manuscrits venant de Rome ont été donnés au couvent d’Iona, ce n’a pu être que par quelqu’un des successeurs de Fergus, ce prince étant mort plus de quarante ans avant l’établissement du monastère de Colum.

Ces manuscrits du couvent étaient néanmoins fort précieux, et ce qui a pu donner lieu à la fable que nous venons de rapporter, c’est le voyage qu’Æneas Sylvius, depuis Pie II, fit en Écosse à la fin du XVe siècle, pour chercher dans la bibliothèque d’Iona ce qui avait été perdu des historiens romains, mais surtout de Tite-Live dont le couvent possédait, dit-on, un exemplaire complet. Plus tard, en 1524, beaucoup de ces manuscrits ayant été transportés à Aberdeen, on essaya vainement de les déployer : le parchemin en était si usé, qu’il tombait par écailles, sitôt qu’on y touchait.

Que reste-t-il aujourd’hui des splendeurs d’Iona ? Quelques tas de pierres que les moines ont laissés au bord de la mer, des monceaux de ruines, la haute tour de l’église du couvent et une croix encore debout. Ces ruines, que recouvrent en partie la mousse, le lichen et les plantes saxatiles, sont fort remarquables, car ces édifices écroulés en partie datent de diverses époques, et quelques-uns remontent à l’antiquité la plus reculée. Les monumens d’Iona feraient la fortune d’un antiquaire patient. Tout à l’heure nous essaierons de les faire connaître.