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NAVIGATION À LA VAPEUR.

comme les Liners (paquebots de Liverpool à New-York), une deuxième classe à 20 guinées (500 fr.), et même, à la chambre d’avant, une troisième classe à 8 guinées (200 fr.). Vienne au reste la concurrence, et notre siècle de démocratie saura bien faire baisser tous ces prix orgueilleux !

La concurrence !… la voilà qui de toutes parts s’éveille, et déjà elle s’apprête à lancer au-delà des mers un plus rude jouteur encore que le Great-Western. Déjà se balance à l’ancre, dans les eaux de Limehouse, l’honneur, la gloire des steamers, le navire qui portera sur son pavois le nom chéri de la jeune et brillante reine de la Grande-Bretagne, le Victoria ! — Plus long de 35 pieds que le plus fort vaisseau de la marine royale, il a 275 pieds de la poupe à la proue ; il excède en puissance le Great-Western de 50 chevaux (sa force est de 500) ; du port de 1,803 tonneaux, il pourra recevoir dans ses larges flancs 500 passagers et 1,000 tonnes de marchandises. Aussi a-t-il coûté deux millions et demi de construction. Le Victoria fera la traversée, on l’espère, en douze jours.

Et maintenant, que vont dire les hardis navigateurs de l’Amérique du Nord, les actifs et entreprenans Yankees, quand ils verront cette imposante reine de l’Océan s’avancer avec la rapidité du trait dans les eaux de leur grande cité, eux qui, à la nouvelle de l’arrivée des premiers bateaux anglais, quittaient à la hâte, la nuit, leurs maisons, et, des quais de New-York, saluaient, pleins de joie, le Sirius, trépignaient d’enthousiasme, quelques heures plus tard, au Great-Western, et s’élançaient pour aller admirer, toucher ce bateau-géant, qui, le 22 avril, leur apportait des journaux de Bristol datés du 8 ! — Qui dira les fêtes, les meetings, les repas, les toasts, les bals, les concerts, auxquels a donné lieu ce grand fait d’intérêt national, et dont les immenses colonnes des journaux américains et anglais ont depuis trois mois enregistré les détails ?

Que l’on ne s’étonne pas de cet enthousiasme ; indépendamment des intérêts commerciaux qui rattachent les États-Unis à l’Angleterre, il y a aussi au fond du cœur des deux peuples le lien du sang, le lien d’une même origine, le souvenir et l’amour de la mère-patrie ; et puis, le fait même de ce rapprochement de deux nations que la vapeur place désormais à douze ou quinze jours l’une de l’autre, ne recèle-t-il pas une révolution tout entière dans les intérêts commerciaux, industriels et politiques des deux mondes ?… Les peuples n’applaudissent jamais en vain : leurs acclamations sont des pressentimens d’avenir.

Mais nous, en face de ces progrès continus, de ces efforts suivis de nouveaux efforts et couronnés par de constans succès, nous bornerons-nous à battre stérilement des mains aux triomphes de la Grande-Bretagne ? N’aurons-nous pas aussi nos Sirius et nos Great-Western ? Certes, le gouvernement actuel, qui se préoccupe sérieusement et avec fruit des intérêts commerciaux et industriels, appréciera toute l’importance qu’auraient pour nos ports du Havre, de Nantes et de Bordeaux, des communications aussi fré-