Pendant les sept ou huit premières années de la restauration, l’Angleterre, qui venait de contribuer si puissamment à l’affranchissement de l’Espagne, a soutenu contre elle une lutte opiniâtre et sourde, pour empêcher les colonies espagnoles de retomber sous la domination de la mère-patrie, ou du moins pour que le principe de la liberté du commerce fût admis dans leurs nouveaux rapports. La politique du gouvernement anglais était en cela favorable aux intérêts de toute l’Europe, bien que le commerce britannique dût en retirer la plus grande masse de profits et la plus immédiatement réalisable. Aujourd’hui, de quoi s’agit-il, sinon de compléter ces résultats, en arrêtant les progrès de ce fatal esprit d’exclusion et de basse jalousie contre les étrangers que la race espagnole de l’Amérique du sud a hérité de ses pères et de ses anciens maîtres ? Heureusement, monsieur, que notre mission est comprise, même en Angleterre ; car c’est un journal anglais qui, à la première nouvelle du blocus de la Vera-Cruz, a imprimé ces lignes remarquables : « Le gouvernement français mérite la reconnaissance de toutes les nations civilisées en cherchant à faire respecter les règles du droit des gens par ces barbares sans principes. Au milieu de ce conflit, les négocians anglais peuvent être exposés à quelques inconvéniens : mais si les Français réussissent, toutes les nations profiteront de la leçon qu’ils auront donnée aux Mexicains ; car, après tout, nous croyons que l’Europe s’est un peu trop pressée en traitant dès l’abord sur un pied d’égalité avec le Mexique et les autres gouvernemens de l’Amérique méridionale. » Ce noble et sévère langage me console, moi sincère partisan de l’alliance anglaise, des déclamations absurdes auxquelles le Times ne cesse de se livrer contre la France.
Je n’aurais pas donné tant d’importance à la discussion soulevée par lord Strangford, si je ne savais quel retentissement ont en Amérique les moindres paroles prononcées dans les assemblées politiques de l’Europe sur les gouvernemens et les affaires du Nouveau-Monde. Avec leur mépris affecté pour nous, vous ne vous figurez pas, monsieur, combien les Américains du sud se préoccupent de nos jugemens sur leur compte. On fera grand bruit à Mexico et à Buenos-Ayres, j’en suis sûr, de la séance de la chambre des lords du 14 août, et il ne tiendra pas aux journaux de Bustamente et de Rosas que l’opinion de lord Strangford ne passe dans l’esprit des peuples pour celle de la nation anglaise tout entière. La Revue des Deux Mondes n’est pas une tribune aussi élevée que le banc du vicomte Strangford à la chambre des lords ; mais elle a aussi sa grandeur et se fait entendre assez loin. Ma première lettre sur les affaires de Belgique vous a valu, monsieur, une réponse de M. de Mérode, dont la popularité a repris tout son éclat chez nos voisins. Qui sait quel nom celle-ci peut ajouter, sous trois mois, à la liste de vos correspondans politiques ?