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DU THÉÂTRE CHINOIS.

être moins que l’art du machiniste toujours imparfait et jamais complètement déguisé ; et les yeux sont amusés par la pompe et l’éclat des vêtemens. Il va sans dire que l’analogie que je remarque ici ne s’applique qu’à la mise en scène et non à l’œuvre dramatique elle-même ; il n’y a pas de Shakspeare à la Chine.

L’unité de temps est aussi intrépidement violée que dans les pièces espagnoles. L’Orphelin de Tchao est emporté au premier acte dans une boîte à médicamens, et au dernier il est devenu un jeune guerrier vengeur de son père. L’unité de lieu n’est pas beaucoup plus respectée ; les auteurs y suppléent en faisant dire au personnage : « Je vais dans tel endroit… » et au bout d’un moment : « Me voici arrivé dans tel endroit. » Quelquefois il enfourche un bâton et fait claquer un fouet pour compléter l’illusion.

On est assez surpris de retrouver à l’autre bout du monde certaines habitudes de notre scène. Telle est la division en cinq actes ; elle semblait si arbitraire à un critique allemand, qu’il prétendait qu’Horace avait écrit le vers de l’Art poétique où il défend de dépasser le chiffre cinq dans le nombre des actes,

Quinto ne sit productior actu,
pour se moquer des Pisons auxquels son épître est adressée. Cependant cette division doit être fondée en raison, puisqu’elle est si générale, puisque Hamlet, Gœtz de Berlichingen, les drames chinois, ont été distribués en cinq actes, aussi bien qu’Athalie et le Misanthrope. Du reste, le nombre cinq est particulièrement usuel à la Chine, où l’on compte cinq élémens au lieu de quatre.

Le rideau se baisse après chaque acte et se lève l’acte suivant. C’est encore comme chez nous ; tandis que sur les théâtres grecs et romains l’on baissait le rideau au commencement et on le levait à la fin de la pièce. Il est certains ouvrages dramatiques dont la représentation dure plusieurs jours. M. Julien possède une collection d’ouvrages de cette étendue. Ce qui caractérise réellement le drame chinois, ce qui lui donne une physionomie particulière, c’est qu’il offre un mélange de prose et de vers : la première parlée, les seconds chantés ; la première reproduisant, dans le langage le plus simple, le ton de la conversation familière ; les seconds, écrits dans un style très soigné, très fleuri, très prétentieux, effusions toutes lyriques qui alternent et contrastent avec le dialogue dramatique. C’est la structure de notre opéra-comique et de notre vaudeville appliquée à des sujets de tous genres ; mais le but et l’effet de ces morceaux lyriques sont bien diffé-