Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/752

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
748
REVUE DES DEUX MONDES.

c’est le nom du médecin, va trouver un vieillard, autrefois ministre, et qui vit retiré à la campagne. Tching-ing lui fait part de son plan héroïque : « J’ai un fils au berceau ; vous m’irez dénoncer, vous direz que j’ai caché l’orphelin de Tchao ; mon fils et moi nous périrons ; vous élèverez l’orphelin, afin que, quand il sera grand, il venge sa famille. »

À cela le vieux ministre répond :

« Il faut bien vingt ans encore pour que cet enfant puisse venger ses parens. Avec vingt ans de plus vous en aurez soixante-cinq, et moi, avec vingt ans de plus j’en aurai quatre-vingt-dix. À cette époque je serai mort depuis long-temps ; comment pourrai-je lui apprendre à venger la mort de la famille de Tchao ? »

Et d’après ce calcul froidement fait, le vieillard dit au médecin : « C’est moi qu’il faut que vous alliez dénoncer comme celui qui a caché la jeune victime. » Au bout de vingt ans, le barbare Tou-an-kou vit encore. Il a adopté l’orphelin, qu’il croit le fils du médecin Tching-ing. Mais celui-ci, avant de mourir, veut apprendre au prince ce qu’il est et ce qu’il doit faire pour venger les siens. La scène dans laquelle l’orphelin, qui se croit le fils du médecin, est instruit de sa propre histoire, est d’une conception très dramatique.

Après avoir, par quelques paroles sombres et entrecoupées, éveillé la curiosité de celui qu’il appelle son fils, Tching-ing se retire et laisse sur la table un livre dans lequel sont figurées les aventures de la famille Tchao. L’ardent jeune homme est vivement frappé des sujets de ces peintures ; il s’émeut surtout à la vue d’une jeune mère à genoux, remettant à un étranger un enfant qu’elle tient dans ses bras. Puis il s’indigne contre un méchant ministre qui outrage et fait battre un vénérable vieillard. « Il me semble, s’écrie-t-il, que cette famille me touche par des liens de parenté. Si je ne tue pas ce brigand de ministre, je ne mérite pas le nom d’homme. » Cependant il ne sait pas encore qui sont les personnages à la destinée desquels il prend ce vif et mystérieux intérêt. Son prétendu père, qui l’écoutait sans être vu, s’approche de lui et lui raconte une histoire qui est la leur à tous deux. Quand il retrace l’enlèvement de l’orphelin par un médecin nommé Tching-ing, l’orphelin l’interrompt et s’écrie : « C’est vous, mon père ! — Il y a dans le monde beaucoup d’hommes qui portent le même nom, dit Tching-ing ; » et il continue ce récit, dont chaque incident ébranle de plus en plus fortement son jeune interlocuteur. Enfin il lui dit :

« Il y a déjà vingt ans que ces évènemens se sont passés. Le petit