Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/758

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
754
REVUE DES DEUX MONDES.

Un vieux fabliau français, publié par Barbazan et intitulé le Jugement de Salomon, raconte ce qui suit : « Deux chevaliers se disputaient l’héritage d’un baron que tous deux disaient leur père. Salomon, voulant éprouver lequel est le véritable fils, ordonne que le corps du défunt soit tiré de sa tombe, et que les deux prétendans, pour montrer qui est le plus propre au maniement des armes, se précipitent vers lui au grand galop de leurs chevaux et le percent d’un coup de lance. L’imposteur n’hésite pas, mais le véritable fils se garde d’accomplir cet exploit sacrilége. » C’est la même aventure retournée, pour ainsi dire, et le sentiment filial mis à la place du sentiment maternel. Ainsi le moyen-âge a métamorphosé cette sentence célèbre, et, fidèle à ses mœurs guerrières, a substitué un coup de lance à l’expédient imaginé par Salomon.

En Chine, une décision, plus semblable encore à celle que rapporte la Bible, a fourni le dénouement du drame intitulé l’Histoire du Cercle de craie, dont nous devons encore la traduction, et une traduction complète, à M. Julien.

Voici comment la donnée cosmopolite a été enchâssée dans les mœurs chinoises.

Le seigneur Ma a deux femmes, l’une qui ne lui a point donné de postérité, l’autre, nommée Haï-tang, dont les antécédens n’étaient pas fort honorables, mais qui est mère d’un fils âgé de cinq ans. Mme Ma, d’accord avec le greffier Tchao son amant, empoisonne son époux ; puis, ayant besoin du titre de mère pour hériter, elle emmène le jeune enfant qu’elle dit lui appartenir et accuse la malheureuse Haï-tang de l’assassinat dont elle-même est coupable. Le juge, qui est une espèce de Bridoison mené par son greffier, condamne Haï-tang. Heureusement la sentence doit être confirmée par le gouverneur de la province ; les parties se présentent devant celui-ci et exposent leurs prétentions maternelles. Le gouverneur fait tracer avec de la craie un cercle au centre duquel on place l’enfant. Les deux femmes doivent le tirer chacune de son côté. « Dès que sa propre mère l’aura saisi, il lui sera aisé de le faire sortir hors du cercle, mais la fausse mère ne pourra l’amener à elle. »

Cette épreuve superstitieuse, cette espèce de jugement de Dieu, semble d’abord tourner contre la justice et la vérité. Mme Ma entraîne l’enfant, et le gouverneur livre la malheureuse Haï-tang aux verges des bourreaux. Mais elle s’écrie : « Quand votre servante fut mariée au seigneur Ma, elle eut bientôt ce jeune enfant. Après l’avoir porté dans mon sein pendant neuf mois, je le nourris pendant trois ans de