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DU THÉÂTRE CHINOIS.

plaint et pleure sur son sort. L’intraitable épouse rentre et dit brusquement : Qu’est-ce que cela signifie ? vous pleurez, je crois ?

LIEOU-TSONG.

Quand ai-je pleuré ?

LA FEMME.

Les larmes coulent de vos yeux.

LIEOU-TSONG.

Hélas ! à mon âge, comment ne seraient-ils pas humides ?


Enfin il prend à part son neveu, lui donne à la dérobée deux pièces d’argent, et lui recommande de visiter exactement les tombes de ses ancêtres.

Le jour destiné à ces pieuses visites est arrivé. Le pauvre neveu se souvient de la recommandation de son oncle ; il s’est procuré en chantant quelques morceaux de papier doré, un pain et une demi-jarre de vin ; il a emprunté une houe, et il vient, selon ses faibles moyens, accomplir la cérémonie d’usage : brûler le papier doré, nettoyer la terre autour du tombeau, et faire les oblations de pain et de vin. Il s’éloigne un moment ; pendant ce temps arrive le vieux Lieou avec son épouse ; leur fille et leur gendre n’ont point paru ; cependant on voit que les honneurs funèbres ont été rendus aux sépultures des aïeux ; mais, à en juger d’après la nature des offrandes, ce ne peut être que par quelqu’un de très misérable. Les deux vieux époux commencent un entretien mélancolique. Ils n’ont point d’enfant de leur nom, car leur fille porte celui de son époux et reposera dans la tombe d’une famille étrangère ; personne ne viendra donc remplir les rites sacrés sur leur sépulture. Tandis qu’ils sont plongés dans ces tristes réflexions, leur neveu, le seul rejeton des Lieou, paraît ; le vieillard feint de vouloir le châtier, parce qu’il n’a pas honoré d’une manière plus brillante les tombes de ses ancêtres. C’est Mme Lieou elle-même qui s’écrie alors : « Votre neveu est pauvre, il n’a pu faire davantage. » Rappelée par les réflexions qu’elle vient de faire au sentiment le plus profondément enraciné dans une ame chinoise, la mauvaise tante devient comme une mère tendre pour celui qui seul peut rendre à ses mânes un filial hommage. Cette péripétie est très originale ; le pathétique qui en résulte est tout-à-fait local et caractéristique ; il doit émouvoir profondément un auditoire chinois.

La fille et le gendre de Lieou se présentent enfin pour accomplir les rites, mais tard, de mauvaise grace, avec des vêtemens peu soi-