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INSTRUCTION PUBLIQUE.

aux idées fausses et excitantes qu’on puise dans la fréquentation des Grecs et des Latins. En un mot, on ne saurait trop tôt déposséder un mode d’instruction, dont le vice, nous dit-on (page 127), est de ne se rattacher à rien dans la vie, ni au passé, ni à l’avenir, ni à l’homme, ni à l’enfant. Toutefois, pour que nous ne prenions pas l’alarme, on nous propose en échange un système qui doit donner à l’humanité des hommes de bonne trempe et pleinement développés.

M. de Girardin a le tort, ce nous semble, de croire qu’on organise l’instruction publique comme un service de douanes ou une expédition militaire. Pour obtenir des fruits dans la région des intelligences, il faut connaître avant tout les outils de la culture et les élémens qu’on veut féconder. L’outil, c’est le maître, et on sait s’il est rare d’en trouver de bonne trempe. Le fonds à cultiver, c’est l’esprit humain qui obéit dans ses développemens à des règles préétablies et constantes. Il en est de l’esprit comme des organes corporels : il s’éveille, se fortifie, se redresse par un convenable exercice ; les habitudes mauvaises le faussent et le détériorent. Or, pour apprécier un programme d’études, il faut se demander quelles puissances de l’entendement il doit mettre en jeu. M. de Girardin veut qu’on donne aux enfans des notions de toutes les sciences pratiques, depuis la mécanique jusqu’à la physiologie, depuis l’agriculture jusqu’au droit civil et public. Évidemment, ces notions si multipliées se réduiront à des principes généraux, à des faits essentiels, mais absolus, isolés, qui ne pourront pas devenir, pour le jeune élève, l’objet d’un raisonnement, et qu’il devra seulement inscrire dans sa mémoire. Quelles parties du cours imprimeront aux esprits l’activité nécessaire ? La lecture et l’écriture ne sont, pour ainsi dire, que des opérations mécaniques. On fait apprendre par cœur les élémens de la grammaire ; mais, dans le jeune âge, cet exercice accable plutôt qu’il ne fortifie le jugement, tant il est difficile de saisir cette métaphysique du langage, dont la règle grammaticale n’est que la sèche conclusion. C’est là un fait d’expérience. Les inspecteurs que nous avons déjà cités rapportent que, parmi les villageoises, grammaire a pour synonyme casse-tête, et qu’elles font souvent une loi à l’instituteur de n’en pas parler à leurs enfans. Récemment un observateur consciencieux[1] a déclaré que le temps passé à expliquer dans les écoles primaires le mécanisme de la diction était complètement perdu, et qu’il y fallait enseigner la langue française, comme les langues étrangères, uniquement par des exercices pratiques. De la sorte, l’enfant arriverait à parler assez correctement, et à éviter machinalement les fautes d’orthographe ; mais il ne devrait plus prétendre à ce sentiment profond de la langue, à cette logique pénétrante qui constituent, selon nous, le principal bénéfice des études et qu’on ne peut réaliser que dans les hautes spéculations grammaticales. En somme, l’élève de M. de Girardin passerait de l’école dite nationale, à l’école profession-

  1. M. Goure (de Caen), dans un mémoire sur l’instruction primaire.