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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/90

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REVUE DES DEUX MONDES.

Ignorant le fond de cette affaire, ou du moins ne l’ayant appris que par la voie incertaine et souvent trompeuse de la clameur publique, je ne sais point si mon neveu Orio Soranzo, ici présent, mérite de moi des marques d’intérêt ou de blâme. Je m’abstiendrai donc de tout témoignage extérieur de déférence ou d’improbation envers qui que ce soit, et j’attendrai que la lumière me vienne, et que la vérité me dicte la conduite que j’ai à tenir.

Ayant ainsi parlé, Morosini accepta le siége qui lui fut offert, et Ezzelin parla à son tour :

— Noble Morosini, dit-il, j’ai demandé à vous avoir pour témoin de mes paroles et pour juge de ma conduite en cette circonstance, où il m’est également difficile de concilier mes devoirs de citoyen envers la république et mes devoirs d’ami envers vous. Le ciel m’est témoin (et j’invoquerais aussi le témoignage d’Orio Soranzo, si le témoignage d’Orio Soranzo pouvait être invoqué !) que j’ai voulu, avant tout, m’expliquer devant vous. Aussitôt après mon retour à Venise, me fiant à votre sagesse et à votre patriotisme plus qu’à ma propre conscience, j’avais résolu de me diriger d’après votre décision. Orio Soranzo ne l’a pas voulu ; il m’a contraint à le traîner sur la sellette où s’asseient les infâmes ; il m’a forcé à changer le rôle prudent et généreux que j’avais embrassé en un rôle terrible, celui de dénonciateur auprès d’un tribunal dont les arrêts sévères ne laissent plus de retour à la compassion, ni de chances au repentir. J’ignore sous quel titre et sous quelles formes judiciaires je dois poursuivre ce criminel. J’attends que les pères de la république, ses plus puissans magistrats et son plus illustre guerrier me dictent ce qu’ils attendent de moi. Quant à moi personnellement, je sais ce que j’ai à faire ; c’est de dire ici ce que je sais. Je désirerais que mon devoir pût être accompli dans cette seule séance, car, en songeant à la rigueur de nos lois, je me sens peu propre à l’office d’accusateur acharné, et je voudrais pouvoir, après avoir dévoilé le crime, atténuer le châtiment que je vais attirer sur la tête du coupable.

— Comte Ezzelin, dit l’examinateur, quelle que soit la rigidité de notre arrêt, quelque sévère que soit la peine applicable à de certains crimes, vous devez la vérité tout entière, et nous comptons sur le courage avec lequel vous remplirez la mission austère dont vous êtes revêtu.

— Comte Ezzelin, dit Francesco Morosini, quelque amère que soit pour moi la vérité, quelque douleur que je puisse éprouver à