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MUSICIENS FRANÇAIS.

Mais les morts du ridicule ont sur leurs confrères de l’épée ou du pistolet l’avantage immense de revenir du tombeau et de pouvoir promener, quand il leur plaît, leur linceul au soleil. Ces fantômes-là portent d’inconcevables chevelures qu’ils laissent flotter au hasard sur leurs épaules, à la manière des anges de Rembrandt. L’expression de leur visage est triste jusqu’à la fin. Parfois leur front incliné comme un roseau sous la main fatale du génie se relève vers le ciel, séjour éternel de la mélodie qu’ils cherchent vainement ici-bas, La mélancolie fait route avec eux à travers les frais sentiers de la terre, et leur mission divine consiste à faire passer incessamment leur ame dans les entrailles d’un instrument qui palpite, s’anime, tressaille et bondit à leur approche ; qui partage leurs douleurs profondes, leurs vagues incertitudes, leurs extases séraphiques, souffre de leurs maux, pleure des larmes de leurs yeux, transpire de la sueur de leur corps, et vit enfin de leur propre vie. De là une musique de regards langoureux et mourans, d’étreintes chaudes et fatales, de pâmoisons instantanées ; musique du présent et de l’avenir, de la vie et de la mort, du ciel et de l’enfer, où les fibres se brisent dans les poitrines et les cordes dans les claviers.

Nous ne disons pas ceci pour M. Berlioz, qu’une raison plus saine éloigne de ces affectations bizarres : cependant, on ne peut le nier, M. Berlioz est de cette école à sa manière, et s’il en désapprouve l’extravagance, il n’en adopte et n’en défend pas moins de toutes les forces de sa conviction généreuse les inadmissibles théories, l’esprit turbulent de conquête et d’envahissement. Je défie qu’on cite en musique une tradition glorieuse que M. Berlioz ait respectée. La mélodie, le rhythme, la voix humaine ? Pour la mélodie, la plupart du temps elle lui échappe, et, si d’aventure il la tient dans ses mains, c’est pour la torturer sous les tenailles d’un rhythme de fer, avec la joie barbare d’un enfant qui plume un oiseau. Comme tous les caractères désorganisateurs, M. Berlioz a le génie de la destruction ; il trouve moyen d’en finir en une fois avec la mélodie et le rhythme, et d’anéantir l’un par l’autre ces deux élémens essentiels de toute musique. Quant à la voix humaine, il lui ôte du premier coup sa fière indépendance, son allure hardie, ses élans vers le ciel, et la soumet à la domination brutale de l’orchestre : la voix humaine ravalée au niveau d’un violon ou d’un trombone, plus bas encore ! la prêtresse de l’ame, faite pour commander partout, devenue la servante d’une idole de cuivre ou de bois ! Non, la musique n’est pas ce que vous pensez. À force de raisonnemens sublimes et de théoriques élucubrations, vous avez in-