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MUSICIENS FRANÇAIS.

brigands, et tous les mélologues dont abondent les curieux programmes qu’il rédige[1].

Une fois M. Berlioz a tenté d’introduire dans la musique sacrée ces effets prodigieux d’instrumentation dont il a le secret, secret terrible qu’on ne l’accusera certes pas de vouloir garder pour lui. Or, si l’on s’en souvient, l’évènement tourna de manière à ne pas l’encourager beaucoup dans son entreprise : ce fut un échec sensible et que les amis de M. Berlioz auraient dû au moins lui épargner, car il suffisait, pour s’y attendre, d’avoir réfléchi un moment aux nécessités de vocation que ce genre impose. Mais, hélas ! pour les musiciens comme pour les poètes, les amis intelligens sont rares ; il n’y a guère, dans les arts, que des partisans fanatiques, sans discernement, sans goût, sans clairvoyance ; sorte de meute déchaînée, qui aboie en criant bravo, que l’orgueil humain pousse à travers la forêt sur la trace du cerf généreux, et qui le poursuit de ses incitantes clameurs jusqu’à ce qu’il tombe avant le terme, haletant et moribond. — Quoi qu’il en soit, M. Berlioz écrivit une messe tout comme il aurait composé une symphonie, et pensa qu’un monde nouveau, plein de religieux mystères et de vagues terreurs, allait se dégager des explosions surnaturelles de son orchestre. Or, agir de la sorte, c’est tout simplement prouver qu’on ne veut comprendre ni le sens ni la portée de l’oratorio. La musique sacrée exige, avant tout, un sentiment profond, sincère, presque ingénu, qui se traduit par la mélodie, condition première du genre, dont M. Berlioz ne tiendra jamais compte, lui qui semble possédé par l’idée que l’on peut remplacer l’expression idéale par une

  1. Il y a dans la Symphonie fantastique un morceau où M. Berlioz a trouvé bon d’inventer une langue nouvelle. La parole humaine ne suffisant plus au délire de son inspiration, le musicien s’est forgé, je ne sais sur quelle enclume barbare, des mots d’airain qui feraient saigner les oreilles du vieux Thor lui-même, s’il prenait fantaisie au dieu scandinave d’entendre jamais la Symphonie fantastique. En conscience, la musique est-elle un jeu d’enfans pour qu’on la traite de la sorte, et l’art divin de Mozart admet-il donc de semblables parodies ? Je me contente d’opposer à ces tristes effets, et comme simple contraste, la chanson du gondolier qui traverse le troisième acte d’Otello. La poésie de cette chanson est de Dante, la musique de Rossini ; et tandis qu’une voix inconnue chantait au dehors cet air mélodieux, exhalé comme un soupir des lagunes, la Malibran, rêveuse, inclinée sur sa lyre, prête à chanter le Saule, l’écoutait, son beau visage inondé de larmes, ses cheveux dénoués, ses tempes nues, dans tout l’éclat de sa mélancolie et de sa jeunesse. Dante, Rossini, la Malibran, harmonie de l’art italien ! Pour moi, j’avoue que ce groupe admirable de toutes les graces chastes et naïves, que cet hyménée de toutes les mélodies m’attire sans cesse, et que je partage l’avis d’un charmant poète qui, après avoir lu jusqu’au bout quelque épopée de notre temps, où le ciel et la terre, les dieux et l’humanité, ne manquent pas d’être en jeu, s’en va retourner au soleil le plus cristallin des sonnets de Pétrarque. Ce que M. Sainte-Beuve disait si heureusement du bon La Fontaine, ne pourrait-il pas se dire aussi de Cimarosa : « Cette source naïve et courante qui s’oublie parfois, mais qui ne s’incruste jamais. »