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mélodie n’a de lumière et de vitalité que pour une seconde, et que, s’il ne se hâte de l’enfouir au plus vite sous les éboulemens de son orchestre, elle va mourir tristement de faiblesse et d’inanition aux yeux de tous.

M. Berlioz possède à un éminent degré le sentiment des masses instrumentales. On rencontre çà et là dans son orchestre des passages qui attestent, chez le musicien, une formidable puissance dans le royaume de la sonorité. Malheureusement les effets s’amoncellent presque toujours jusqu’à la confusion, et les plus nobles qualités périssent par l’abus. M. Berlioz ne sait porter nulle part cette force de tempérance et de modération sans laquelle il devient impossible de rien édifier dans l’art de solide et de durable. S’il s’élève par hasard dans son orchestre un motif attaqué vaillamment et que l’on voudrait suivre, voilà que sur-le-champ les contre-sujets se multiplient autour de lui, que les plus bizarres modulations harmoniques s’entortillent comme autant de serpens et finissent par l’étouffer sous leurs inextricables nœuds. Gœthe a dit que les amoureux sont toujours prêts à tirer la lune et les étoiles en feu d’artifice pour divertir leurs maîtresses. On pourrait appliquer cette parole à M. Berlioz. Ainsi, pendant le serment des ciseleurs, au premier acte de Benvenuto Cellini, les trombones entonnent une phrase large et d’un beau caractère ; puis, tout à coup, tandis qu’elle se développe, les petites flûtes s’éveillent, on ne sait pourquoi, et, comme une armée de grillons qu’un bœuf soulève dans sa marche, s’égosillent en toutes sortes de gazouillemens oiseux, sous lesquels la gravité du morceau disparaît complètement. Que signifie aussi cet abus excessif à tout propos des moyens les plus violens ? Il y a cependant des choses simples qu’il faut se résigner à dire comme les autres, et je ne vois pas ce que l’art peut gagner à prendre six trombones pour accompagner, avec une solennité puérile, ce qui, du temps de Mozart et de Cimarosa, se récitait entre deux accords plaqués sur le clavier. Si vous déployez ainsi sans sujet toutes vos ressources, si vous ne faites vos réserves, il est évident que tout moyen de contraste vous manquera dans l’occasion. Comment ferez-vous pour annoncer la statue, si vous évoquez vos trombones pour Zerline et pour Mazetto ? Et dire que c’est un opéra bouffe que M. Berlioz a prétendu écrire ! Que deviendrons-nous, bon Dieu ! s’il lui prend jamais fantaisie de composer quelque drame lyrique et de s’élever de la farce italienne à l’épopée ? Quels moyens titaniques suffiront, quand il chaussera le cothurne, à ce musicien qui remue ainsi les cuivres en se jouant ? Ceci me rappelle une scène de Benvenuto,