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y a trente-sept ans, défendue avec une habileté prodigieuse, et contre la force et contre la ruse, agrandie enfin et consolidée par l’épée du conquérant et le génie organisateur de l’homme d’état. Vous comprenez, monsieur, la politique du sultan : il a perdu, il veut recouvrer ; il a été humilié, il veut se venger. Son intérêt est clair ; je ne dis pas cependant qu’il soit bien entendu, mais on le saisit à merveille, et les motifs qui poussent Mahmoud sont de ceux qu’il faut admettre, sauf à ne pas approuver le but vers lequel ils dirigent l’action d’un souverain. Nous avons éprouvé de sa part quelque chose de pareil, depuis 1830, malgré tous les patelinages qu’on ne s’est pas réciproquement épargnés. La Porte Ottomane a protesté plus d’une fois, et de toutes les façons, contre la conquête d’Alger par la France ; elle n’a pas fait un mystère de sa joie, quand nous avons éprouvé quelque revers en Algérie ; elle n’a pas cessé d’entretenir des intelligences, soit à Constantine, soit ailleurs, avec les chefs qui pouvaient arrêter les progrès des armes françaises, et les choses sont allées si loin, sous ce rapport, que le gouvernement français s’est vu trois fois obligé de prévenir à Tunis ou de faire très rigoureusement surveiller la flotte turque dans la Méditerranée, pour lui éviter la tentation d’un débarquement de troupes sur la frontière orientale de nos possessions en Afrique.

Voilà pour la Turquie. J’ai nommé l’Autriche, et j’y reviendrai. Arrivons tout de suite aux motifs qui peuvent dominer dans cette affaire la conduite du cabinet de Pétersbourg et déterminer l’attitude qu’on sait qu’il a prise sans hésiter. C’est une opinion générale en Europe, que, depuis le traité d’Unkiar-Skelessi, le divan est entièrement soumis à l’influence russe ; que la volonté de la Russie est prépondérante à Constantinople, bien qu’elle ne se montre pas toujours à découvert ; que peu de résolutions s’y prennent, peu de choses s’y font, peu de mouvemens s’y opèrent dans les hommes ou dans les principes d’administration, sans que cette volonté habile et suivie ait donné l’impulsion ou accordé un consentement toujours nécessaire et souvent demandé. Il y a peut-être quelque exagération dans ce tableau ; mais je rapporte l’opinion commune, et cette opinion est fondée. On croit aussi que la Russie désire faire en Orient une nouvelle épreuve de ses forces, non plus comme ennemie de l’empire turc, mais comme alliée ; qu’elle désire y faire naître une collision où elle ait le droit et le devoir d’intervenir aussitôt les armes à la main, soit pour essayer de nouveau l’effet de son protectorat, soit pour envoyer à Constantinople son escadre de Sébastopol, et en Asie mineure quelques divisions de l’armée de Bessarabie, le tout à telles fins que le permettront les circonstances, et, pour me servir d’une expression familière, parce qu’on ne sait pas ce qui peut arriver. Ceci est encore assez fondé. Il est certain qu’au premier bruit d’un vœu d’indépendance chez Méhémet-Ali, la Russie a mis aussitôt à la disposition du divan des forces considérables, a renouvelé au sultan ses promesses de bienveillance, ses offres de protection ; et si la guerre s’était rallumée, elle n’aurait pas attendu que la Porte lui demandât des secours ; tout était prêt pour épargner au pauvre