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tie romaine. En France, la réforme gagna du terrain parce qu’elle servait les vues d’une grande faction de cour, et qu’elle s’associa, selon son génie et sa nature, au principe aristocratique alors en lutte avec la royauté. Entraînemens de l’opinion ou bien combinaisons de parti, convictions ou intérêts, telles ont été dans tous les temps les conditions de succès de toute révolution religieuse.

L’établissement anglican reste seul placé, du moins lorsqu’on le considère à son origine, en dehors de ces deux principes. Œuvre d’incohérence et de contradiction, il ne représente rien dans l’ordre philosophique ; œuvre de sauvage despotisme, il n’est primitivement conçu dans aucun intérêt d’état, il ne se lie même à aucun intérêt de parti.

En imaginant de se déclarer pape, en guise de juste-milieu entre ceux qui rejetaient la papauté catholique et ceux qui lui restaient fidèles, le monstre qui occupait le trône d’Angleterre n’entendait donner satisfaction à aucune des opinions qui ébranlaient alors l’Europe. Henri avait cessé d’être orthodoxe sans se faire réformer : témoin les nombreux protestans que le défenseur de la foi continua, depuis son apostasie, de livrer aux bûchers dressés pour ses sujets catholiques. Si, sous son règne et sous celui d’Élisabeth, sa fille, rester fidèle au saint-siége, et admettre la suprématie romaine, fut un crime capital, se dire protestant dans le sens rigoureux de ce mot, et nier la suprématie de la couronne en matière religieuse, fut également considéré comme un délit digne de mort. Élisabeth, il est vrai, au lieu de brûler, selon le procédé de l’inquisition adopté par son père, ceux d’entre ses sujets qui contestaient son autorité spirituelle et son droit au gouvernement de l’église, les faisait couper en quatre après qu’on leur avait arraché les entrailles ; or, comme ce genre de supplice est spécialement destiné, par la loi anglaise, aux crimes politiques, ce fait suffit, au dire de ses apologistes, pour purger sa mémoire de toute accusation de fanatisme religieux.

Lorsque lassé des lenteurs de Rome pour son divorce, il prit fantaisie au luxurieux monarque de faire sanctionner par le vil troupeau de ses évêques la grande iniquité que le chef de l’église hésitait à consacrer, Henri VIII ne fut déterminé, ni par le désir de se concilier les sympathies religieuses d’une portion de ses sujets, ni par la pensée de servir ses intérêts politiques. La réforme, qui déjà agitait l’Écosse, avait eu jusqu’alors peu d’action en Angleterre, et loin de céder, en se séparant de Rome, au mouvement de l’opinion populaire, il fallut, au fondateur de l’anglicanisme et à sa fille, cin-