Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/182

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
178
REVUE DES DEUX MONDES.

ne présenta de plans en faveur de la réforme parlementaire[1]. L’esprit démocratique semblait s’élever de toutes parts et souffler sur la constitution anglaise. Le conseil communal de Londres, engagé dans des résistances séditieuses, présentait à la couronne des adresses républicaines ; de nombreuses associations entravaient dans les provinces l’action du gouvernement ; l’Irlande était en état presque permanent d’insurrection, et jusque sous les voûtes de Saint-Étienne, les doctrines les plus hardies se produisaient avec une menaçante confiance.

Et pourtant peu d’années s’étaient écoulées, que M. Pitt commençait, avec l’énergique assentiment du pays et de la représentation nationale, sa guerre à mort contre l’esprit de révolution, qu’Edmond Burke lançait contre lui son acte éloquent d’accusation, et que Charles Fox, en voyant se rompre une illustre amitié, versait ses larmes immortelles. C’est qu’un immense évènement était venu soudain donner un autre cours à l’opinion, et tendre le ressort fort relâché de la vieille machine politique. Pour qui veut se rendre compte de la situation de l’Angleterre, lors de la guerre d’Amérique, il devient évident que la révolution de 89 a retardé d’un demi-siècle le triomphe de la réforme chez nos voisins. La révolution de 1830 a eu un effet tout opposé, sans doute à raison de la différence de son caractère, sans doute aussi à raison de celle des temps, parce que les intérêts étaient déplacés, et que les idées étaient plus mûres. Nous essaierons de déterminer bientôt et les causes de cette réforme, et son véritable caractère.


L. de Carné
  1. La réforme était, à cette époque, l’objet d’une motion périodique, que l’alderman Sawbridge se chargeait ordinairement de présenter. Une tentative beaucoup plus sérieuse fut faite, en 1780, par le duc de Richmond, pendant que cent mille hommes entouraient Westminster, et troublaient par leurs cris les délibérations des deux chambres. Le duc demandait, comme MM. Atwood, Roëbuck, O’Connor et autres le demandent en ce moment, les parlemens annuels et le suffrage universel.

    En 1782, M. Pitt proposa au parlement un plan de réforme qu’appuyaient avec chaleur, dans tout le royaume, les associations patriotiques et les comités de correspondance. En 1783, après la démission de lord Shelbourne, il reproduisit la même proposition, et, pendant les années qui suivirent, il l’appuya constamment lorsqu’elle fut présentée. Mais, en 1792, on voit M. Pitt repousser avec violence les pétitions réformistes des Amis du peuple, présentées aux communes par M. Grey, en annonçant qu’il s’est pour jamais détaché de cette cause, comme de celle de toutes les innovations. Les réclamations des catholiques, présentées avec tant d’éclat par Burke et Grattan, subirent d’abord l’effet des mêmes causes. En 1787, une simple majorité de quelques voix avait repoussé une proposition d’émancipation politique ; en 1790, cette proposition fut à peine appuyée. Cependant le même motif qui décida soudain le duc de Wellington, en 1829, à la mesure dont il s’était montré jusqu’alors le plus implacable adversaire, une insurrection flagrante et la crainte de l’étranger, détermina le gouvernement de George III, en 1795, à faire à l’Irlande des concessions partielles. Celles-ci excitèrent ses espérances sans les restreindre, et la situation du gouvernement anglais devint, de ce jour, d’autant plus fausse, qu’il s’était départi de son vieux principe sans en proclamer un nouveau.